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Manuel à l'usage du bien public

Manuel à l'usage du bien public

Comment distinguer le bien du mal en matière de jugements moraux? La question ne s’adresse pas qu’aux féru·es de philosophie, mais aussi aux citoyen·nes que nous sommes face à tout débat susceptible de nous pousser dans nos retranchements.

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Essai

Comment distinguer le bien du mal en matière de jugements moraux? La question ne s’adresse pas qu’aux féru·es de philosophie, mais aussi aux citoyen·nes que nous sommes face à tout débat susceptible de nous pousser dans nos retranchements.

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L’actualité québécoise donne lieu périodiquement à des disputes houleuses qui se déroulent dans l’espace public – les journaux, les réseaux sociaux, les parlements –, mais aussi dans les chaumières. Il devient de plus en plus difficile, voire risqué, de prendre position de peur d’être aussitôt associé au camp des «méchants». Notre société a beau être laïque: la bonne vieille culpabilité judéo-chrétienne a toujours la cote, à en croire certains argumentaires qui démonisent (et stigmatisent) volontiers les opposant·es aux idées défendues par celles et ceux que Micaël Bérubé désigne, dans son essai L’éthique qu’il nous faut, comme les justicier·ères de notre époque.

La prétention de bannir les fautifs découle d’une conception catégorique et donc erronée du bien, selon laquelle nous tombons tous dans l’une ou l’autre de [sic] deux colonnes: les gentils et les méchants.

Une éthique meilleure que les autres?

Le titre du livre annonce triomphalement que la réponse au chaos des opinions discordantes qui empoisonnent trop souvent le débat public se trouve dans l’édification d’une éthique qui serait celle qu’il nous faut, par opposition à celle instrumentalisée par les expert·es et présumé·es expert·es chargé·es de nous instruire en nous exposant leurs «savoirs». Première évidence: comme ces morales se contredisent, elles ne peuvent donc pas toutes être vraies simultanément, ce qui nous oblige à faire preuve de sens critique et, ultimement, à déterminer nous-mêmes quelle «morale» a tort ou raison.

Le programme est certes ambitieux. Bérubé, en bon professeur de philosophie (il enseigne au Collège Montmorency), organise son ouvrage de manière à nous présenter d’abord les conceptions de la morale les plus courantes qui s’affrontent de nos jours – libéralisme, égalitarisme, conservatisme –, pour ensuite nous montrer l’erreur qu’elles ont en commun. Après avoir remis en question la possibilité d’une éthique valable, l’auteur poursuit son «enquête» en établissant que les «jugements catégoriques», «[qui] consistent essentiellement à déclarer qu’une catégorie d’actions est morale, immorale ou moralement indifférente», conduisent à une impasse et doivent être abandonnés. Il faudrait plutôt leur substituer une «éthique de la vertu». Grâce à cette approche philosophique, qui tire son origine des enseignements de Socrate, et dont le livre nous renseigne sur l’histoire et les principes, Bérubé tente l’exploit, dans le dernier chapitre, d’appliquer l’usage de la vertu à l’étude d’un cas où on a eu recours à la culture de l’annulation. Ses observations et son questionnement entourant l’affaire ayant opposé Safia Nolin à Maripier Morin ne laisseront personne indifférent: «[O]nt-elles agi légalement? avec le consentement de l’autre partie? Ont-elles offensé ou blessé? Leurs agissements étaient-ils inacceptables?»

Le parti de la justice

L’objectif premier de l’éthique de la vertu, contrairement aux jugements catégoriques qui condamnent quiconque dévie de la bonne morale – décrétée par on ne sait quelle instance rappelant certaines autorités religieuses, pour qui le bien et le mal sont des notions arrêtées –, n’est pas de nous amener à prendre parti, sinon en faveur de la justice. L’exercice paraît compliqué, et il l’est, confie l’auteur. On peut quand même y arriver, du moment qu’on tente de valoriser chaque personne. Ainsi, on oublie les «appels haineux à la rétribution ou à la vengeance»; on s’assure plutôt d’inciter chacun·e à devenir meilleur·e. Bérubé consacre un chapitre à cette idée surprenante: on y apprend qu’une personne est bonne dans la mesure où on la considère comme utile, et qu’il existe conséquemment une hiérarchie de valeurs chez les humains, puisque certains se démarquent par leur utilité exceptionnelle. L’avant-dernier chapitre expose à ce propos les vertus essentielles à cultiver afin d’augmenter sa «valeur personnelle». Je vous préviens, le programme est costaud: justice, bienveillance, sagesse, connaissance et maîtrise de soi, humilité et fortune. Si on en croit Micaël Bérubé, inspiré en cela par les Mémorables (récits de vie de Socrate écrits par Xénophon), «[c]ultiver la vertu est une habitude qui porte fruit, tandis que négliger la vertu conduit naturellement à la calamité».

Ce livre, faut-il le préciser, s’adresse clairement aux personnes qui doutent de leurs convictions et cherchent comment et quoi faire pour naviguer dans les eaux troubles des enjeux posés par la contemporanéité; même si, l’auteur ne s’en cache pas, il devrait d’abord intéresser ceux et celles qui pensent déjà tout savoir.

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Micaël Bérubé
Montréal, Fides
2022, 288 p., 24.95 $