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L'indien (enfin) hors du placard

L'indien (enfin) hors du placard

Poursuivant le dialogue des ancêtres, Monkman propose un univers d’où il appelle à une réconciliation.

Beau livre

Poursuivant le dialogue des ancêtres, Monkman propose un univers d’où il appelle à une réconciliation.

Avec l’exposition La Belle et la Bête, Kent Monkman, artiste autochtone d’origine crie, inaugure le nouvel espace du Centre culturel canadien à Paris. Comme le souligne Catherine Bédard dans sa conversation avec l’artiste, le contexte de l’exposition prend inévitablement une tournure diplomatique. Embrassant humblement sa position d’ambassadeur, Monkman «apprécie l’opportunité de toucher un public européen peut-être peu informé de ce que vivent les peuples autochtones canadiens». La publication, éditée par Skira et le Centre culturel canadien, réunit l’essentiel de l’exposition, soit un ensemble inédit de cinq grands tableaux ainsi que dix œuvres et artefacts empruntés au musée des Confluences de Lyon, que l’artiste a soigneusement mis en dialogue avec son travail.

Récits des origines

D’entrée de jeu, admettons-le, il faudrait plus d’une simple critique pour témoigner de la richesse du contenu de ce livre et des réflexions qu’il produit et dépose en nous. C’est que le travail de Monkman dépasse le seul champ artistique pour s’étendre sur celui de l’histoire de l’art, de l’histoire, de l’ethnologie, des questions de genre et surtout de celle la plus au cœur de sa pratique,
la question autochtone. L’entretien est à ce titre très éclairant sur la démarche et les préoccupations sociales et esthétiques de l’artiste qui «construit une conversation entre les conceptions du monde autochtone et européenne», et qui s’est employé, pour cette série de peintures, à «explorer les similitudes entre nos histoires et nos mythes plutôt qu’à comparer les traductions picturales, qui sont si différentes». Le texte de Catherine Bédard poursuit cette réflexion en examinant méticuleusement les nombreux tableaux et artistes européens qui s’agitent tels des spectres dans l’univers pictural de Monkman. On y découvre un peintre à l’œil ironique, au geste ample et dénué de complexe. Tordant les mythes fondateurs, jouant d’eux comme les dieux avec les êtres, son œuvre est «contre la nostalgie, l’héroïsme, la pureté, la gravité, et contre toute forme d’idéalisation […]»; elle parvient à «peindre une nouvelle histoire enracinée dans l’ancienne», selon les termes de Lee Maracle. Tel que l’écrit dans sa contribution cette autrice d’une œuvre littéraire saluée par la critique, la peinture de Monkman est un récit convaincant. À ce propos, son texte, au premier abord bizarre et complètement décalé, est porté par un souffle poétique qui apporte beaucoup de relief à la publication et aux approches plus théoriques des autres contributeurs. Dans les tableaux de Monkman, il ne nous est pas impossible de voir ce que lui-même parvient à observer lorsqu’il regarde de grands tableaux historiques, c’est-à-dire qu’il se rend compte de «la capacité qu’a ce médium d’être pertinent […] en figurant des expériences autochtones contemporaines et de les autoriser à s’inscrire dans l’histoire de l’art pour les générations futures».

Il faudrait souligner également la présence du personnage de Miss Chief, créature mythologique créée par Monkman, qui établit dans son œuvre «un point de vue homosexuel puissant et affirmé […] qui fait de sa sexualité une arme visant à déstabiliser le pouvoir du colonisateur».

Prendre acte

La publication, quant à elle, est inégale. Comme le livre est bilingue, les concepteurs ont cru bon de changer la police de caractère pour chacune des langues, soit l’anglais et le français courant respectivement sur les pages paires et impaires, ainsi que pour les divers intervenants de l’entretien. La légende des œuvres se retrouve à la verticale le long du corps du texte et les références appelées par les «Fig.1», «Fig.2» sont constellées sur les pages. Si, ultimement, ces éléments n’entravent pas la lecture, ils bousillent à mon avis l’unité graphique de l’ouvrage. La partie accordée au musée des Confluences tombe à plat et ressemble plutôt à une infopub. J’aurais aimé que les concepteurs tiennent compte des parties de l’exposition mettant en relation les objets (la collection ostéologique, les oiseaux naturalisés et autres artefacts) avec les peintures de Monkman. Comment cela s’organise-t-il dans l’exposition? Impossible de le savoir. Les textes qui accompagnent les rubriques ne nous apprennent rien d’intéressant, et donnent l’impression d’être isolés du reste de l’ouvrage. Inversement, les reproductions des œuvres qui parcourent la monographie sont généreuses et ponctuent habilement cette «nouvelle histoire». Les nombreux détails extraits des œuvres nous permettent de percevoir l’intensité des personnages, des regards, la force du trait de l’artiste. Sans compter l’ajout des peintures issues de l’histoire de l’art européen, qui permet de comprendre les emprunts de Monkman et la manière dont il parvient à les sublimer.

Si pour Monkman, parlant des commissions Vérité et Réconciliation, il va de soi que «les mots doivent être corroborés par les actes», sa peinture en est le pur reflet. ♦

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Emmanuel Simard
Paris, Skira / Centre culturel canadien à Paris
2018, 126 p., 58.95 $