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Les voies de la vengeance

Les voies de la vengeance

Jusqu’où peut-on aller pour assouvir sa vengeance, surtout quand elle a été longuement mûrie et préparée? Deux polars parus cette année explorent ce thème par des voies fort différentes. Et tout aussi efficaces.

Polar

Jusqu’où peut-on aller pour assouvir sa vengeance, surtout quand elle a été longuement mûrie et préparée? Deux polars parus cette année explorent ce thème par des voies fort différentes. Et tout aussi efficaces.

Amqui, d’Éric Forbes, et Jours de haine, d’Anna Raymonde Gazaille, relèvent en effet de deux écoles très présentes dans la littérature policière, mais dont les moyens et les langages ne se ressemblant pas du tout.

Amqui appartient au roman noir, dans le sillage des hardboiled crime fictions qui ont proliféré aux États-Unis dans les pulp magazines (Thrilling Detective, Spicy Detective Stories, Black Mask et autres), là où, par exemple, Raymond Chandler a fait ses classes. C’est une littérature coup de poing, dure, sans fioritures ni sentimentalisme, où l’action elle-même étoffe les personnages et densifie les intrigues. Est-ce un clin d’œil? Le format du livre lui-même évoque celui des pulps.

Jours de haine emprunte un autre registre, celui du roman policier psychologique, à la manière de la très britannique P. D.James ou de la canadienne Louise Penny. S’y retrouve certes une dose de mystère, mais y priment l’analyse des tréfonds de l’âme humaine et une écriture riche en circonvolutions. Le contexte plante le décor et contribue à étoffer le déroulement de l’action. La jaquette sombre du livre se remarque par son classicisme.

Deux romans policiers, donc, où deux hommes — vite identifiés — en veulent à l’hypocrisie de leur société et jettent un regard sévère sur un monde qu’ils jugent décadent. Ils prennent les moyens adéquats, c’est-à-dire particulièrement violents, pour se venger. Les deux procèdent de la même manière expéditive: une balle dans la tête. Et malheur à qui se dressera sur leur chemin, ils connaîtront le même sort.

La vengeance a traversé l’histoire de la culture occidentale, du théâtre grec jusqu’à Hamlet, du Comte de Monte-Cristo d’Alexandre Dumas jusqu’à La mariée était en noir de William Irish. La psychanalyse, rappelle la spécialiste en bioéthique Geneviève Delaisi de Parseval, nous informe que ce sentiment trouve souvent ses racines dans une enfance fragilisée et que de l’acte de se venger permet de retrouver l’estime de soi. C’est effectivement ce qui nourrit Amqui et Jours de haine.

Deux loups solitaires

Dans Amqui, Étienne Chénier, mi-trentaine, ancien libraire (métier qui est d’ailleurs celui de l’auteur), sort de la prison de Bordeaux. Il a bénéficié d’une libération anticipée, on apprendra plus tard pourquoi. Très vite, il est mêlé à des événements qui attirent sur lui l’attention des policiers, dont l’enquêteur Denis Leblanc, — archétype du policier alcoolique et bedonnant —, endeuillé par la mort de son fils. L’action se déroule d’abord à Montréal, puis à Amqui, petite ville gaspésienne de la vallée de la Matapédia. Chénier fait maison nette, en éliminant un à un, les gens qui figurent sur sa liste. Il s’échappe chaque fois que la police pense le coincer — même un agent de la GRC qui croit le manœuvrer rate son coup. Si Éric Forbes réfère explicitement à l’écrivain Dashiell Hammett,
son personnage principal agit plutôt comme s’il sortait tout droit des romans de Chester Himes.

Jours de haine juxtapose quant à lui trois histoires qui finissent par se recouper: une série de meurtres dont est soupçonné Coquel’œil — un malfrat notoire —, la disparition de l’amie de cœur d’un détective du SPVM et une enquête sur des attentats où sont, entre autres, visés des policiers. Le meurtrier recherché se révèle être un ancien militaire, un tireur d’élite qui a servi en Afghanistan. C’est un mésadapté social qui a été ballotté dans son enfance d’une famille d’accueil à l’autre. Il est débrouillard, très méthodique, rompu aux techniques de survie. De Montréal, la traque se poursuivra en plein bois, loin en Haute-Mauricie.

La poursuite, autre thème récurrent du genre, prend dans ces deux romans une dimension particulière grâce aux caractéristiques des lieux: une forme de férocité supplémentaire. Écrits dans une langue précise et de bonne tenue, leurs récits s’achèvent sur une fin ouverte où la morale bien pensante ne trouve pas son compte. Du beau travail.

Le monde du polar est d’une diversité et d’une richesse qui n’ont pas fini de s’exprimer. Amqui et Jours de haine en sont des expressions éloquentes. ♦

Auteur·e·s
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Anna Raymonde Gazaille
Montréal, Leméac
2017, 256 p., 24.95 $
Éric Forbes
Montréal, Héliotrope
2017, 290 p., 22.95 $