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Les piles à plat

La narratrice de Glu, de Clémence Dumas-Côté, a régulièrement besoin de régénérer son énergie tant physique que mentale. Pour ce faire, elle se connecte à une substance induite au moyen d’ondes invisibles. Un roman étrange et poétique.

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Roman

La narratrice de Glu, de Clémence Dumas-Côté, a régulièrement besoin de régénérer son énergie tant physique que mentale. Pour ce faire, elle se connecte à une substance induite au moyen d’ondes invisibles. Un roman étrange et poétique.

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Une femme déambule dans les rues du quartier Parc-Extension, à Montréal, pendant des heures. Elle marche sans but pour endiguer la torpeur qui fond sur elle et se distancier de l’épaisse poix qui menace de l’ensevelir. Enlisée dans le marasme du quotidien, elle peine à s’occuper adéquatement de Bébée, sa petite fille, dont elle partage la garde avec le père. Elle ambitionne de rejoindre une zone dépouillée de leurres, désencombrée des masques que l’on porte jour après jour. Subsisteraient alors l’essentiel (qui lui permettrait d’être elle-même, sans artifices) et une vibration authentique, qui la lierait à autrui sans l’intermédiaire de faux-semblants.

Un mercredi, en rentrant chez elle, la protagoniste apprend le suicide d’un jeune homme: il se serait laissé tomber du toit de l’immeuble en face de celui où elle habite. Il s’appelait Simon. Dans les jours suivants, elle est obnubilée par l’événement: en commettant ce geste, l’individu aurait trouvé une solution. Sur le point de choir, il aurait levé le pouce, comme si tout allait bien. La narratrice se sent immédiatement liée à lui ainsi qu’à Théo, le grand ami de Simon, avec qui elle fait connaissance. Paradoxalement, elle a la certitude d’être entière grâce à leurs béances communes: elle se reconnaît dans leur volonté d’atteindre «ces accords exacts du réel» qui légitimeraient leur existence. Elle les découvre, parfois, ces connexions qui lui inoculent un sursaut de vie. Par exemple, parmi le bric-à-brac d’un antiquaire, dans le silence total du combiné d’un vieux téléphone, elle détecte la présence potentielle d’une personne qui écoute et pourrait à tout instant entamer la conversation. Après cette séance de communion intense, de moments parfaits (au cours de laquelle rien n’est véritablement advenu, mais qui n’a pas, au moins, engendré de déceptions), la narratrice peut reprendre le cours de ses activités avec moins de lourdeur.

Les attractions mortifères

Clémence Dumas-Côté a publié deux recueils de poésie aux Herbes rouges avant de faire paraître Glu, son premier roman. La force allusive de sa prose dénote une pratique symbolique fertile et soutenue. Il ne faut donc pas s’appliquer à débusquer une cohérence réaliste dans le récit, mais plutôt accueillir d’entrée de jeu la proposition onirique, qui enrichit la voix narrative et lui donne un grand pouvoir d’évocation. Les parties intitulées «Diesel pour l’âme» – un balado dont le traitement hétérodoxe des sujets rend le propos, dans certains cas, absurde ou grinçant – témoignent notamment de l’exploitation d’une «société-spectacle», qui s’alimente aux sources les plus diverses pour faire sensation. Ces segments du livre révèlent un monde morcelé peinant à définir l’essence de sa trajectoire; ils contrastent avec le désir vital de la narratrice de s’unifier avec toutes ses composantes, de se lier avec celles et ceux gravitant autour d’elle. Son apathie et son impression de ne pas être en phase avec le réel s’en trouvent décuplées. L’adéquation entre l’extérieur et ce qui habite la protagoniste est quasiment nulle, ce qui la pousse à lorgner du côté de la mort, perçue comme une possible destination idyllique où prévaudrait une forme d’innocence autrement inaccessible. Ce n’est pas tant un appétit pour la mort qui domine la femme, que le souhait profond de s’amalgamer à une sorte d’absolu. «J’aspire à une ultra-sensation», affirme-t-elle. Tout au long du roman, elle cherche cette interaction qui lui donnerait peut-être la force de continuer.

Aimer et se réassembler

Glu met de l’avant la vulnérabilité de la narratrice, qui vit une neutralité émotive à force d’observer le délitement de sens autour d’elle et d’éprouver de la déception face à ses relations. Cela commence dès l’enfance, fréquemment convoquée dans le récit. On nous présente une petite fille jouant seule à la vraie vie; elle essaie de combler le vide entre elle et les autres. À l’étage, sa mère apaise sa mélancolie, tout en la gardant vivace, en écoutant Brel. Pendant ce temps, l’enfant constate la disparition de sa tortue, sa confidente. «Phénomène s’est évaporée avec mes secrets et nos souvenirs. Je retiens l’échéance de tout lien.» La désillusion, le regret, la lassitude, la dépression ne sont jamais franchement nommés, mais les comportements insolites et les maux physiologiques de la narratrice les annoncent. L’écriture de Clémence Dumas-Côté, tantôt précise, tantôt décalée, suggère de façon convaincante le cheminement d’une jeune femme en perte de repères qui tend vers sa reconstruction.

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Clémence Dumas-Côté
Montréal, Les Herbes rouges
2022, 160 p., 23.95 $