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Les essais littéraires me dépriment

Les essais littéraires me dépriment
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Je déprime parfois après avoir parcouru un essai portant sur la littérature québécoise. Ça m’est arrivé cet été en refermant Sortir du bocal, un échange épistolaire entre Michel Biron et David Bélanger.

Les ouvrages s’attardant aux œuvres québécoises, plus anciens ou contemporains, me font souvent maugréer. À en croire leurs auteurs, je perds mon temps à lire des romans «sans aventure» (selon Isabelle Daunais), qui mettent en scène des éclopés. J’ai rugi en entendant Gilles Marcotte, naguère, affirmer que nous n’avions pas de littérature. Rien qui nous soit propre, qui nous caractérise dans cette Amérique déchirée. Nous ne serions toujours qu’une colonie et une excroissance asthmatique de la France.

J’exagère, bien sûr.

Ça me démoralise. Tellement que j’ai évité ces «professeurs de désespoir» pendant des années avant d’y revenir. Celui qui a fait déborder la coupe (pas la Stanley), en 1998, est Jean Larose avec L’amour du pauvre, un livre écrianché qui m’a estomaqué par sa mauvaise foi. Vingt ans plus tard, il semble que les essayistes empruntent le même sentier en se penchant sur les empreintes de leurs prédécesseurs.

Lecture

Je lis les écrivains québécois depuis plus de cinquante ans. Mon premier vrai livre, Une de perdue, deux de trouvées, de Georges Boucher de Boucherville, je l’ai exploré près d’un poêle à bois. J’étais à la petite école de rang, le malcommode qui aimait les mots et se demandait si lui aussi pouvait inventer des histoires.

Longtemps après, il y a eu Marie-Claire Blais, Victor-Lévy Beaulieu, Jacques Poulin, Claire de Lamirande, Jacques Ferron, Gabriel Roy et Yves Thériault. Même que cela m’a poussé vers les livres de Rodolphe Girard, Albert Laberge, Napoléon Aubin, Pierre Gélinas, Jean-Charles Harvey et Ringuet. Toujours pour le bonheur de tourner une page de notre aventure québécoise.

J’ai vibré en lisant Les Plouffe, Le Survenant, Marie-Didace, Bonheur d’occasion, Les engagés du Grand Portage et Agaguk. Beaucoup moins quand je suis allé vers le roman de Claude-Henri Grignon, qui a squatté la télévision trop longtemps avec ses «belles histoires».

Je sais. Certains écrivains aiment les orages et les bourrasques. Leurs héros sont rongés par un mal atavique. Nous avons eu cette mode au cinéma avec Ti-Cul Tougas et toute la ribambelle de soûlons qui tournent en rond. Il y a eu en même temps les films éblouissants de vérité et de poésie de Pierre Perrault.

J’admets que Victor-Lévy Beaulieu, dans ses commencements, est déroutant avec ses personnages éjarrés qui n’arrivent jamais à la hauteur de leur rêve. Le quotidien les avale et rarement ils parviennent à garder la tête hors de l’eau. Abel, Jos, Steven et bien d’autres se tiennent plus dans la cuisine d’été et la remise que dans les salons aux fauteuils capitonnés.

Sortir du bocal…

Encore faut-il ouvrir la bonne porte. Michel Biron et David Bélanger souhaitent prendre la clef des champs. Mais comme ils fréquentent le même milieu, des écrivains reconnus par l’institution universitaire, ils n’arrivent jamais à trouver les chemins de traverse. «Notre littérature a mal au dos», lance David Bélanger. Oui, nos auteurs ont le nerf sciatique en charpie et ils trébuchent sur les trottoirs.

Voyage

Souvent, j’ai voyagé aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Europe, au Japon et même dans le Grand Nord avec les livres. Les héros de John Steinbeck ne sont jamais des gagnants, ceux d’Erskine Caldwell non plus, dans leur pays en ruine. Ces alcooliques obsédés courent vers la mort sur des routes de campagne. Ils sont aussi mal en point que nos Abel et Steven, que Ti-Cul Tougas, qui devient un surhomme à la taverne. Que dire de Jack Kerouac, le colosse de ma génération. Cet instable fonce vers l’Ouest américain, la terre de tous les mirages, s’étourdit dans des soûleries avant de revenir se faire dorloter par Mémère. Pourtant, jamais un critique américain n’a osé écrire que la littérature des États-Unis était une excroissance de celle de l’Angleterre, qu’elle manquait de coffre, qu’elle claudiquait et souffrait de strabisme.

Je lis certains contemporains depuis leur premier livre. Robert Lalonde et ses belles enjambées dans le réel et les fardoches, Francine Noël et ses histoires lumineuses. La conjuration des bâtards est un roman que l’on n’a pas su reconnaître. Un véritable bijou qui garde toute sa pertinence. Tout comme Les failles de l’Amérique, ce grand récit de Bertrand Gervais. Que dire de la petite musique de Gilles Archambault, des gobeurs d’horizon de Noël Audet, de la discrétion exemplaire du Jack Waterman de Jacques Poulin, dont je m’ennuie tant. Et de Louise Desjardins qui arpente son Abitibi. Je pourrais demander l’aide de Suzanne Jacob, d’Alain Gagnon, me pencher sur la mutation qu’il fait subir à son pays de Saint-Félicien, accompagner André Girard, qui guette l’arrivée du monde sur le quai de Bagotville, ou Christian Guay-Poliquin, qui repart à la conquête de l’Amérique, de ses espaces et de ses saisons dans sa trilogie. Et encore Larry Tremblay qui décortique notre réalité.

Perdants

David Bélanger s’attarde beaucoup à François Blais, et à Tess et Jude, de Document 1. Un couple allergique à toutes responsabilités, qui nie son indigence et sa souveraineté personnelle, politique et intellectuelle. Tout le mal vient de cette impossibilité à être un individu qui s’accepte dans ce «Québec incertain». Cette incapacité à foncer vers «ce pays qui n’est toujours pas un pays». Comment posséder l’imaginaire sans s’ancrer dans le réel? Comme vivre quand on est Canadien sans le vouloir, Québécois sans le pouvoir. Il y a les écrivains cyniques, des désabusés qui tiennent le haut du pavé, et les autres qui échafaudent des œuvres dont on ne parle jamais.

Ironie, avancent Biron et Bélanger. Ils touchent là un élément essentiel. Nous sommes «un peuple rieur», peut-être les héritiers des Innus que raconte Serge Bouchard.

Notre littérature est secouée par des vagues de fou rire depuis Gratien Gélinas. Le devoir de s’amuser, de tout ridiculiser. Il faut rire envers et contre tous. Nous nous moquons de notre langue, de notre culture, des philosophes, des sacrifiés de la politique, des enseignants et des médecins, des morts aussi, ces «loseurs». Pas de rire, pas d’avenir. C’est peut-être ça, la plus incroyable des calamités. L’incapacité de s’ancrer dans un vrai pays sans faire des grimaces.

Les écrivains n’ont pas à être des explorateurs ou à s’apitoyer sur leur nerf sciatique. Ils doivent seulement apprivoiser leurs peurs et leurs rêves. Nicole Houde a décrit un monde terrible d’angoisse, déstabilisant dans la première partie de son aventure éblouissante, avant de retrouver son souffle dans «le plein midi soleil» vers la fin de sa vie. Ce ne fut pas sans mal à l’âme, cette incroyable démarche où elle a fait confiance à la magie des mots qui transforment tout ce qu’ils touchent.

Peut-être que je vais encore déprimer en lisant sur la littérature québécoise, mais chose certaine, je vais m’accrocher aux œuvres des écrivains et écrivaines d’ici. Ceux et celles qui me parlent à l’oreille et me font vibrer depuis plus d’un demi-siècle. Mes sœurs et mes frères qui m’accompagnent dans le dur désir de se dire et d’être dans la joie, les jours de canicule ou de poudrerie qui aveugle.

 


David Bélanger et Michel Biron
Sortir du bocal
Montréal, Boréal, 2021.
Jean Larose
L’amour du pauvre
Montréal, Boréal, 1998.
Isabelle Daunais
Le roman sans aventure
Montréal, Boréal, 2015.

 


Journaliste, écrivain, conférencier et chroniqueur, Yvon Paré a publié une quinzaine d’ouvrages, des essais, des romans, de la poésie et des récits. Signalons Le voyage d’Ulysse (XYZ, 2013), prix Ringuet de l’Académie des lettres du Québec et Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean, ainsi que Les revenants (Pleine lune, 2021), finaliste au Prix du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean. On retrouve l’ensemble de ses chroniques sur [yvonpare.blogspot.com].

 

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