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Les animaux fantastiques

Un bestiaire festif qui rivalise d’inventivité et de sensibilité face aux créatures «donjons- dragonesques» du célèbre jeu de rôle.

Beau livre

Un bestiaire festif qui rivalise d’inventivité et de sensibilité face aux créatures «donjons- dragonesques» du célèbre jeu de rôle.

C’est une bien drôle de «bibitte» que nous présente la Salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval! Issu des cerveaux un tantinet foutraques de la commissaire Manon Tourigny et de l’artiste multidisciplinaire Fanny Mesnard, Ondes élastiques surprend par l’originalité de sa démarche et par son ton. De format compact et long d’une quarantaine de pages, le catalogue d’exposition offre un panorama de créatures tantôt loufoques, tantôt attendrissantes; une fresque vivante et bigarrée de personnages aux palettes de couleurs qui ne feraient pas rougir Alfred Pellan lui-même.

Une fête pour tous·tes

Des humanoïdes à tête de chat, un serpent poilu chevauché par un perroquet ainsi que des petits fantômes troquant le drap blanc pour des tissus aux motifs colorés nous accueillent et courent de la première à la quatrième de couverture. Le titre de l’ouvrage est verni, de sorte que la lumière frappe dessus telle une «onde», dont l’effet se trouve amplifié par une fonte ingénieuse. Tout en bas, en blanc, figurent les noms des autrices.

Dans les premières pages, un texte de Tourigny explique la démarche derrière le catalogue: il consiste en un échange créatif entre la commissaire et l’artiste. Comme un cadavre exquis, Tourigny «imagine chaque description à partir des créatures qui gravitent dans l’installation de Mesnard. Et l’artiste les redessine en s’inspirant des mots de la commissaire». Apparaissent ensuite, un à un, les petits monstres mignons, bien qu’habités par une légère mélancolie. Au fil des pages, on sent Mesnard inspirée par les ykai, ces créatures surnaturelles du folklore japonais.

Les descriptions de Tourigny, imprimées sur des pages roses, orange ou vertes, rappellent l’univers tout aussi coloré de sa collaboratrice. Sa prose suggère également les points d’ancrage de la pratique de Mesnard. Pensons aux territoires et à son occupation, au mouvement du corps et à la danse, qui reviennent fréquemment dans le langage plastique de l’artiste, mais aussi dans le vocabulaire de la commissaire. Les bêtes ne sont pas seulement un copier-coller de l’imaginaire pictural: on sent bien qu’elles vivent et existent, qu’elles apportent du réconfort à ceux et celles qui participent à cette «fresque-danse». Ainsi, la partie sur les céramiques, appelée «prothèse de céramique», énumère les «pouvoirs» d’un masque de lapin ou d’une patte de grenouille.

Joindre la danse

La forme de l’ouvrage, d’une part, et son ton, d’autre part, rappellent les livres jeunesse. En feuilletant Ondes élastiques, on pense à l’univers décalé de Kitty Crowther, aux paysages luxuriants d’Anthony Browne, ou encore aux créatures de Maurice Sendak. L’œuvre présente une galerie de personnages hybrides, en pleine transformation, et souvent affublés d’un déguisement telle une seconde peau. À l’instar du duo artistique, ils ne préjugent ni du beau ni du laid, ni de l’étrange ni du plus commun. C’est, comme le rappelle Tourigny, une fête qui «donne envie de célébrer la vie en vous intégrant à la danse et en observant les belles choses qui vous entourent». Cette candeur débouche sur de nouvelles sensibilités. Les bêtes créent un univers où il est possible de «vivre sans peur et dans le plaisir» d’une bienveillance qui invite à la guérison.

Sur le plan du contenu, le catalogue propose un bel aperçu de l’imagerie de l’exposition, mais assez peu de vues de sa mise en scène, de son aspect performatif. Les toiles de Mesnard se font tout aussi rares. C’est plutôt malheureux, tant ses murales sont expressives, vives et inspirantes. L’initiative demeure néanmoins fort intéressante et sympathique. Toutefois, il faut admettre que dédier davantage d’espace à l’univers visuel de l’artiste (ou encore aux créations des groupes de jeunes qui ont visité l’exposition lors de sorties scolaires) aurait peut-être permis de goûter davantage à ce monde et de participer pleinement à la fête. Ce choix donne un caractère plus indépendant au livre, qui s’inscrit dans une durée dépassant celle de l’exposition. C’est une œuvre enchanteresse que j’aurai plaisir à rouvrir lors des journées grises ou lorsque j’aurai envie de danser.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Fanny Mesnard, Manon Tourigny
Laval, Salle Alfred-Pellan de la Maison des arts de Laval
2021, 44 p., 10.00 $