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Le show de Marie-Louise Arsenault

C’est un fait, une conversation entre gens du milieu littéraire n’en est pas véritablement une tant que n’a pas été évoquée l’émission Plus on est de fous, plus on lit!: pourquoi y a-t-on invité un tel plutôt qu’une telle? Fanny Britt finira-t-elle un jour par publier un recueil des chroniques qu’elle y présente? Combien de bouteilles de prosecco Jean-Paul Daoust écluse-t-il pendant le cabaret du vendredi?

L'arrière-boutique

C’est un fait, une conversation entre gens du milieu littéraire n’en est pas véritablement une tant que n’a pas été évoquée l’émission Plus on est de fous, plus on lit!: pourquoi y a-t-on invité un tel plutôt qu’une telle? Fanny Britt finira-t-elle un jour par publier un recueil des chroniques qu’elle y présente? Combien de bouteilles de prosecco Jean-Paul Daoust écluse-t-il pendant le cabaret du vendredi?

Son animatrice Marie-Louise Arsenault, qui sait tout des enthousiasmes et des frustrations occasionnelles que génère son émission, s’est attablée avec Dominic Tardif dans la somptueuse cafétéria de Radio-Canada afin d’élucider quelques-uns des secrets derrière l’élaboration quotidienne de son talk-show, qui reprenait l’antenne cet automne pour une neuvième saison.

 

Dominic Tardif: Qu’est-ce que tu cherches quand tu lis? C’est quoi, un bon livre, pour toi?

Marie-Louise Arsenault: C’est difficile de répondre à cette question-là, parce que je lis obligée, et tant mieux, parce que ma paresse intellectuelle ferait que je ne lirais que des romans policiers. [Elle éclate de rire.] J’exagère un peu! Un bon livre, c’est quoi? C’est une bonne histoire bien racontée, c’est une voix, quelqu’un qui te parle comme personne d’autre, quelqu’un qui a quelque chose à dire. C’est une affaire de rythme. Un bon livre, c’est comme quelqu’un qui a du charisme: on s’en rend compte, mais on ne sait pas dire pourquoi. Mais je trouve qu’au Québec, il y a un travail d’édition qui ne se fait pas toujours. Je ne sais pas pourquoi. Il y a souvent des longueurs: le livre pourrait être vraiment bon, mais on passe à côté parce qu’il y a des redites, des maladresses.

 

DT: Est-ce que les bons écrivains sont en général de bons invités?

MLA: Non. Oh que non! [Elle éclate de rire à nouveau, encore plus fort.] C’est plate, han? Les très bons écrivains font en général de bons invités, parce qu’ils ont été obligés de le devenir à un moment donné. Marie-Claire Blais est devenue une bonne invitée à force d’être confrontée à ça, même si je pense que ce n’était pas dans sa nature. On l’a reçue pour la première fois en mai dernier, mais j’ai résisté pendant quelques années à l’inviter, parce que j’avais l’impression que ce n’était pas quelqu’un de facile à interviewer. L’équipe m’a rassurée en me disant qu’elle était vraiment bonne. Comme on fait de la radio en direct, on n’a pas beaucoup de marge de manœuvre. Donc, non, les bons écrivains ne font pas forcément de bons invités, et c’est ça qui est difficile, parce que nous, on veut faire un bon show. La méthode qu’on a développée pour parler d’un livre incontournable [écrit par un auteur pas forcément doué pour communiquer], c’est de le faire lire à quelqu’un qui va lui rendre justice, parce que ce qui est dramatique, c’est que si l’écrivain n’est pas très bon en entrevue, il ne donnera pas envie aux gens de lire son livre, peu importe sa qualité.

 

DT: Comment faites-vous pour savoir si un nouvel auteur a ce qu’il faut pour offrir une bonne performance?

MLA: S’ils n’ont jamais donné d’entrevue, il faut leur parler. On les appelle. Dans le bureau, je dis qu’on les contacte pour faire un sondage téléphonique. C’est là tout le talent des recherchistes de juger si quelqu’un est capable de donner le change. Comme on fait beaucoup d’entrevues avec des gens qui n’en ont jamais donné de leur vie, on a établi un modus operandi: on les invite le lundi, puisque autour de la table sont rassemblés les membres du club de lecture, des personnes qui savent qu’elles sont là pour être généreuses avec l’invité. Mais à travers les années, j’ai eu de tout: des gens au bord de l’évanouissement, des gens verts.

 

DT: Comment les amadouez-vous, ces nouveaux auteurs?

MLA: Il y a une façon d’interviewer les nouveaux venus: on leur fait raconter d’où ils viennent — qui sont vos parents?, quand vous étiez petit, est-ce qu’il y avait des livres chez vous? — ça les rend intéressants. C’est beaucoup par ces récits de vie que les auditeurs arrivent à s’identifier à des gens qu’ils ne connaissent ni d’Ève ni d’Adam. C’est sûr que si on commence par poser une question hyper littéraire à quelqu’un qui n’a jamais fait d’entrevue, ça peut être un peu corrosif. Faut pas oublier qu’on fait une émission grand public, pas une émission pour des doctorants en littérature. Tant mieux s’ils nous écoutent, mais ce n’est pas ça, notre élan premier.

 

DT: C’est quoi une bonne entrevue, pour toi?

MLA: Pour faire une bonne entrevue, faut avoir de l’écoute et être créatif. Il n’y a pas de pattern. À chaque fois que je prépare une entrevue, je me demande c’est quoi mon angle. Si tu poses toujours les mêmes questions, ça va être plate avec un inconnu, mais ça va être plate aussi avec quelqu’un de connu comme Michel Tremblay. C’est un vrai défi de faire une bonne entrevue avec lui; tu remarqueras, souvent il commence ses réponses par «Comme je dis toujours…» [La recherchiste] Noémie Désilets a eu la présence d’esprit de recenser les thèses écrites autour de son œuvre et là, on a ri, parce qu’il n’avait jamais été placé face à ça. Tsé, la parade phallique dans l’œuvre de Michel Tremblay… Et on en est venu à apprendre qu’au début de sa carrière, ça l’intéressait, et qu’il a fini par arrêter de lire tout ça, pour différentes raisons. Ça a donné un moment inédit avec Michel Tremblay, ce qui est compliqué à obtenir!

 

DT: Au printemps dernier, tu as eu un petit moment de confrontation avec Mathieu Bock-Côté [6mai 2019] autour de son livre L’Empire du politiquement correct (Éditions du Cerf), ce qui est assez rare dans nos médias. Est-ce que tu apprécies ces moments de tension?

MLA: Moi, j’aime ça, mais l’auditoire ne comprend pas bien. On n’a jamais autant reçu de courriels de gens qui se sont dits déçus de moi, qui m’ont trouvée agressive; beaucoup de gens qui disaient être des fidèles de l’émission, et pas particulièrement fans de Mathieu Bock-Côté, mais qui me reprochaient de ne pas l’avoir écouté. J’ai une collègue qui dit que les auditeurs réagissent comme ça parce qu’on n’est plus habitués au «hot seat». C’est vrai qu’on en fait peu au Québec. Je pense aussi que lorsqu’on est une femme et que l’on confronte un invité, on va se faire traiter d’agressive.

 

DT: Je devine qu’il y a aussi des gens qui t’ont reproché de l’avoir invité, de lui avoir offert une tribune?

MLA: À Radio-Canada, c’est souvent «damned if you do, damned if you don’t». Si on invite des gens qui sont davantage dans une pensée conservatrice, il y a toujours une partie de l’auditoire qui n’est pas d’accord, mais je considère qu’il faut toutes sortes de points de vue. Si on invite juste des gens qui pensent de la même façon, c’est plate.

 

DT: Est-ce que tu dirais que ton émission penche à gauche, malgré tout?

MLA: C’est sûr que ça penche plus à gauche, mais est-ce que Le Devoir, le New Yorker ne penchent pas plus à gauche?
On essaie d’être ouverts à toutes les idées, mais un des problèmes, c’est que plusieurs penseurs qui sont à droite au Québec ont signé des exclusivités chez Québecor. Et ce n’est pas assez dénoncé, comme situation. C’est terrible. Après, on reproche aux médias d’être polarisés!

 

DT: Et les critiques du milieu littéraire, comment tu les reçois?

MLA: Ah, ça n’a pas été facile au début: on nous reprochait de recevoir juste des jeunes, on nous reprochait de vouloir être drôles, mais ça ne m’a jamais empêchée de dormir. Ça vient d’une petite minorité. Qu’est-ce que tu veux que je te dise?
Ils sont frustrés! Entre toi et moi, deux heures de littérature, chaque jour, c’est unique. Pourquoi on ne peut pas être juste contents? En même temps, c’est sûr qu’il y a des gens qu’on n’a jamais invités pour des raisons… [elle hésite] ben justement, parce qu’ils ne sont pas de bons invités. Ils ont le droit de ne pas être contents. Ceux qui nous critiquent, en général, ne comprennent pas que ce qu’on fait, c’est un show, et qu’il faut faire un bon show. Il y en a tellement eu, des émissions remplies de gens qui parlent pointu, qui parlent entre eux, qui se redorent de leur culture. Ils gardaient ça entre leurs mains, comme un pouvoir qui leur appartenait, et pour moi, ce genre d’attitude-là, c’est criminel. Ça ne nous empêche pas, cela dit, de faire une heure au complet sur la philo. Moi, je tiens pour acquis que les gens sont intelligents et que si tu leur parles avec un ton inclusif, ils vont te suivre. Faut pas être snob, mais ça ne nous empêche pas de placer la barre haute. ♦

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