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Le roman d'Isabelle

Josée Marcotte propose la première fiction biographique consacrée à Isabelle Rimbaud, autrice du début du XXe siècle largement éclipsée par le succès de son frère Arthur.

Roman

Josée Marcotte propose la première fiction biographique consacrée à Isabelle Rimbaud, autrice du début du XXe siècle largement éclipsée par le succès de son frère Arthur.

Entre 1853 et 1860, Frédéric Rimbaud et Marie Catherine Vitalie Cuif ont cinq enfants: Jean Nicolas Frédéric, Jean Nicolas Arthur, Victorine Pauline Vitalie, Jeanne Rosalie Vitalie et Frédérique Marie Isabelle. Le premier entre dans l’armée, le deuxième s’impose comme l’un des poètes les plus célèbres de la littérature mondiale, la troisième et la quatrième meurent prématurément, tandis que la dernière leur survit tous·tes, devenant écrivaine ainsi que garante de l’héritage littéraire et de la mémoire de son frère Arthur.

Foi ardente

La vie et la poésie d’Arthur Rimbaud suscitent, dès son vivant, une production d’écrits critiques qui ne cesse de croître, mais bien peu de textes ont été dédiés au reste de sa famille. Si David Le Bailly consacre en 2020 L’autre Rimbaud (publié à L’iconoclaste) au frère aîné Frédéric, rien n’avait encore paru sur Isabelle. Or, non seulement cette femme est l’unique membre de la famille liée à l’œuvre d’Arthur, mais elle est également une autrice en contact avec l’intelligentsia littéraire de son temps et publiée dans l’importante revue d’alors, le Mercure de France. Voilà le manque que comble le livre de Josée Marcotte, fruit de plusieurs années de recherche.

La vie d’Isabelle est entièrement dominée par l’imposante présence de Vitalie Cuif, «la mère terrible», femme de contrôle aspirant à la stricte morale bourgeoise de l’époque. Isabelle vit dans les Ardennes avec sa mère, dont elle partage la chambre, jusqu’à son mariage à l’âge de trente-sept ans. Très jeune, l’écrivaine en herbe développe une fascination pour la figure de la Vierge, qui l’aide à survivre à ces longues années d’abnégation. Elle en ressort animée d’une foi intacte et ardente, qu’elle projette sur les écrits de son frère.

Merci Isabelle

Femme occultée par les très fortes personnalités de sa famille et la célébrité de son frère, Isabelle retourne cette situation à son avantage au fil des ans. Josée Marcotte donne à lire une relation dialectique entre la jeune femme et Arthur qui propose un renversement particulièrement intéressant. Isabelle grandit dans l’ombre d’Arthur. En tant que femme dans une famille conservatrice, elle n’espère aucun épanouissement personnel. Quand le frère se révolte et s’affirme à l’adolescence, elle n’a d’autre choix que de se taire: «Isabelle n’est que la sœur.» Lorsque l’auteur revient, dur et distant, de ses escapades poétiques pour se soigner et se reposer auprès des femmes Rimbaud, elle «ne peut s’empêcher de se sentir davantage chambrière que sœur». Le roman met en évidence à quel point la vie d’Arthur Rimbaud a reposé sur les soins domestiques constants des femmes de la famille: «Isabelle comprend que si un homme a le devoir d’être honnête, la femme doit se perdre dans l’abnégation du devoir familial.»

Arthur dynamise la vie d’Isabelle, qui vit au rythme de ses lettres et de ses retours à la maison. Elle se rend parfois à Paris pour acheter du matériel, puis l’expédier à son frère au Moyen-Orient. Le récit de Marcotte montre avec subtilité que si Isabelle se marie, des années après la mort d’Arthur, à l’un de ses admirateurs; si la célébrité du poète lui permet de devenir autrice, de fréquenter le milieu littéraire et d’échapper à sa mère; si elle se dit «merci, Arthur» en se dirigeant vers l’autel, elle n’en est pas moins toujours demeurée la maîtresse de son existence. Elle a su, animée de sa foi et de son goût pour le beau et le juste, faire feu du bois de son frère. C’est la qualité de ce texte de conjuguer l’autodétermination de cette femme à l’immense présence de l’écrivain dans sa vie. «Arthur est le roman d’Isabelle», et celle-ci, afin d’offrir une lecture mystique et compatible avec la foi chrétienne des œuvres de son frère – quitte à en sacrifier certains pans essentiels, comme l’homosexualité –, travaille en artiste, en femme qui poursuit une vision du monde et l’actualise par l’écriture.

Intelligence

Si on regrette un style à peine trop «sage», tout au service de ses thèmes – et dans lequel il aurait pu être bon de sentir un peu plus la présence de Josée Marcotte, les rêveries et les fantasmes que suscite en elle ce sujet qui la passionne –, il n’en demeure pas moins que La sœur de l’autre est un roman captivant pour qui s’intéresse à la galaxie rimbaldienne. La construction en courts chapitres fonctionne très bien et soutient à merveille l’intelligence de l’écriture. Les plus littéraires s’amuseront à repérer les citations cachées dans le texte.

Auteur·e·s
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Josée Marcotte
Montréal, Hamac
2022, 320 p., 29.95 $