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Le poète enamouré

Professeur émérite et biographe de Gaston Miron, intellectuel réputé, Pierre Nepveu signe ici son meilleur livre de poèmes.

Poésie

Professeur émérite et biographe de Gaston Miron, intellectuel réputé, Pierre Nepveu signe ici son meilleur livre de poèmes.

Si, un jour, après avoir lu la poésie de Pierre Nepveu, vous avez cru qu’il avait déjà donné le meilleur de lui-même dans de précieux recueils comme La dureté des matières et de l’eau (2015) ou Les verbes majeurs (2009), et qu’il ne faisait plus que remâcher son style, courez, courez acheter sa dernière publication et savourez votre chance. Dès les premières pages, cette poésie vous consumera.

Touffues sans être luxuriantes, chargées mais sans lourdeur aucune, ces pages dressent le tableau d’une vie faite d’échanges, de rencontres, une vie dédiée à l’observation d’un monde en transformation. L’auteur lui-même évolue en périphérie de ce monde: il ne cède jamais à la tentation de s’y soustraire et s’engage dans une traversée du sentiment amoureux sous toutes ses formes. Quel que soit le thème abordé, Pierre Nepveu, ici plus que jamais, retourne et déchiffre les arcanes de sa vie avec son œil de poète très contemporain, très ancré dans le présent. Si son écriture a évolué dans le sens de la profusion, c’est peut-être qu’il y avait toutes ces choses amoureuses à dire. Pourtant, il le précise à la fin, ce ne sont pas des poèmes d’amour, mais «des sursauts seulement dans la chair du temps».

Les vers sont si naturels qu’ils semblent être nés dans la facilité. Il y a une chose qu’on apprend avec les années: si l’on soupçonne qu’on n’a rien à dire, il faut se taire et attendre, car torturer la langue n’est pas une marque d’audace ni même de modernité. L’espace caressé par ta voix, écrit dans la justesse de l’émotion aussi bien que dans la recherche de l’énoncé précis mais original, musical et chargé de sens, en est bien la preuve. Tout est splendeur ici, même «nos étroitesses et nos raisons froides»; tout s’annonce comme un mystère qui révèle son secret par de longs vers où l’image, suffisamment retenue et calibrée pour qu’on l’apprécie quand elle vient, a trouvé la place qui l’attendait. À lire cet admirable recueil, vous aurez peut-être l’impression que le poète n’a fait que transcrire des phrases qu’une autre entité, ou peut-être le temps, ou bien la vie elle-même, avait forgées pour lui. Et c’est probablement le cas, d’où le sentiment d’harmonie qu’on retire de chaque page.

Tout dire, à l’enfant comme à l’aimée

Le poète travaille à décrypter l’enfance: «L’époque du lilas a été la plus courte, serrée comme un secret du monde […]. Mais tu possèdes l’absolue présence, et toutes les voyelles font leur nid en toi, creuset des légendes, abîme de toute-puissance.» Occupé à raconter le passé récent de ceux qu’il chérit (sa petite-fille, sa fille, son amoureuse), Pierre Nepveu n’en est pas moins tourné vers l’avenir, comme s’il y était entraîné malgré lui. Dans la première partie, il déploie le tableau des Prairies canadiennes, nous parle d’un autre art de vivre et d’une autre façon de nommer chaque chose. L’incipit du livre donne alors le ton: «Vers le soir, le ciel de la Saskatchewan bascula sur nous, déversant chaleur et fumées, pour marquer ton retour d’un voyage au bord des étangs salins.» Ce prosaïsme devenu poésie est l’une des grandes forces du livre.

Les poèmes amoureux de la dernière partie évoquent eux aussi le lien fort que le poète, que l’on sait pourtant très à l’aise dans les grandes villes, entretient avec la nature:

et c’est dans un espace entre deux pommiers
quand le soleil bas rongeait la toison du ciel
et que les bernaches achevaient de déchirer le bleu,
c’est là, derrière le malheur qui poussait encore
et la stridence de la voie rapide chauffée à blanc,
que je t’ai entendue chanter et c’était
comme une faille dans le paysage

Nepveu nous rend témoins de la vie qu’il partage avec ses proches et tous ses contemporains. Mais c’est aussi un homme vieillissant qui s’interroge sur lui-même et sur son âge, sur sa disparition. Il est conscient que ses allées et venues parmi les personnes aimées font «des trous dans le paysage». Il n’en reste pas moins que si tout nous échappe, les êtres comme les choses, le seul fait de les nommer, de les transposer dans la création — et si bellement, si exactement — allume la conscience et dessille le regard. C’est peut-être alors seulement que ces «trous» deviennent des refuges, comme le terrier d’un animal obéissant à l’instinct de vie pulsant en lui. ♦

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Pierre Nepveu
Montréal, Noroît
2019, 120 p., 19.00 $