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Le passé coquin de nos ancêtres

Le passé coquin de nos ancêtres

Malgré la morale religieuse, nos ancêtres aimaient autant, sinon plus, la grivoiserie que nous!

Essai historique

Malgré la morale religieuse, nos ancêtres aimaient autant, sinon plus, la grivoiserie que nous!

La maison d’édition Septentrion, sous la direction de Denis Vaugeois, planifiait depuis un certain temps déjà la publication d’une version rééditée d’un livre qui avait marqué le monde de l’histoire du Québec dans les années 1970, tant par son sujet que par sa rigueur méthodologique. Voilà que parait enfin cette version allégée, pas tant dans son contenu que dans sa forme, du livre La vie libertine en Nouvelle-France au XVIIe siècle, de l’écrivain, ethnologue et historien Robert-Lionel Séguin (1920-1982). Le livre original, en deux tomes, avait été publié par la maison Leméac en 1972 et son auteur avait reçu un an plus tard le prix Jean-Hamelin pour ce colossal ouvrage.

Réorganisé en un seul livre d’un peu plus de cinq cents pages, l’ouvrage nous plonge dans diverses facettes des mœurs libertines du XVIIe siècle en nous les faisant découvrir par le biais de thématiques précises, allant des mœurs publiques à la vie quotidienne, en passant par la vie matrimoniale et la plus délicate question des sanctions… «D’une grande richesse, les archives québécoises révèlent la vie intime de toutes les couches sociales de la colonie.»

Colons et Amérindiens

Le livre nous fait pénétrer directement, dès les premières pages, dans le monde de la grivoiserie avec les relations entre les premiers colons, les communautés religieuses et les Amérindiens. Sans mise en contexte historique, nous entrons dans le vif du sujet, avec de nombreux témoignages d’époque à l’appui, faisant littéralement «parler» les personnes impliquées. Prenons pour exemple le cas assez imagé de Martine Messier, une femme forte qui pouvait s’adonner «aux besognes champêtres avec une facilité et une adresse que peuvent lui envier bien des hommes». Aux prises avec des assaillants iroquois, elle n’hésita pas à sauver sa vie en empoignant les testicules de l’un d’entre eux, un fait drôlement abordé par la littérature de l’époque, puisqu’on hésitait à parler directement de la zone d’attaque.

Nous voyons aussi que la vision de la sexualité (excluant le viol puisque ce dernier était inconnu de la plupart des communautés amérindiennes) était différente dans les communautés autochtones comme les Abénaquis, qui ne voyaient pas d’inconvénients aux concubinages nocturnes lorsqu’une femme n’était pas mariée, ce qui a plu à plusieurs coureurs des bois. Certains ont toutefois dépassé les bornes, comme Michel Acault «qui sera poursuivi et menacé parce qu’il laisse des enfants illégitimes partout où il séjourne». L’historien aborde même la question de l’homosexualité autochtone, ce qui est étonnant pour un livre paru pour la première fois en 1972! Les citations et témoignages d’époque sont très riches et imagent à merveille un aspect moins connu, parfois par ignorance due à une vision édulcorée de la vie en Nouvelle-France, du quotidien de nos ancêtres. Si les cuisses légères, les adultères, la prostitution (notamment près des casernes de Québec) et les accusations d’obscénité étaient chose courante, la justice, elle, traitait ces situations avec une certaine sévérité.

L’Église face au libertinage

L’Église était de son côté très consciente des risques de libertinage dans une société où, bien qu’elle multipliât les efforts pour attacher les hommes à la terre, la traite des fourrures restait plus lucrative que l’agriculture et permettait une liberté d’action sans supervision pour les hommes qui choisissaient ce moyen de subsistance… L’historien nous cite aussi les cas plus complexes des cabarets, nous donnant des exemples très concrets des altercations possibles entre les gentilshommes et coureurs des bois qui fréquentaient ce type d’établissement — comme celui de la Folleville — et les forces de l’ordre:

Ce beau monde, attablé, ne semble pas impressionné par l’arrivée impromptue des représentants de la loi. Les épées sont subitement dégainées, et les gens de robe n’ont qu’à filer pour éviter d’être embrochés. Ce n’est pas sans raison si nombre de gentilshommes sont continuellement occupés aux découvertes et aux expéditions lointaines. Gardés à la ville, ils causeraient maintes bagarres et rixes sanglantes.

Denis Vaugeois et Septentrion nous offrent ainsi une édition plus accessible d’un ouvrage marquant et toujours pertinent. Les témoignages d’époque constants rendent le récit bien vivant et les affirmations sont bien appuyées de références pour nous permettre de retrouver les informations d’origine ou les sources utilisées par l’historien.Pour les connaisseurs et grands amateurs de l’histoire du Québec, il s’agit sans conteste d’un ouvrage de référence à se procurer, qui offre une vitrine très riche sur les mœurs d’antan. Cependant, ce livre costaud, écrit dans une plume qu’on n’utilise plus aujourd’hui, est moins accessible pour le grand public. Les mises en contexte historiques sont rapides et souvent très précises, ce qui peut rendre la lecture ardue pour quelqu’un qui s’intéresse au sujet sans avoir des connaissances étendues sur l’histoire de la Nouvelle-France.♦

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Robert-Lionel Séguin
Québec, Septentrion
2017, 520 p., 44.95 $