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Le monde mystérieux de l'édition

Je me suis déjà aventuré du côté de l’édition, pour découvrir des histoires et polir des phrases, des romans qui marqueraient l’imaginaire, j’en étais convaincu.

Chronique délinquante

Je me suis déjà aventuré du côté de l’édition, pour découvrir des histoires et polir des phrases, des romans qui marqueraient l’imaginaire, j’en étais convaincu.

C’était en 1984, les premiers pas de Sagamie/Québec, une coopérative d’édition au Saguenay, une entreprise un peu délirante. Pas que les directeurs littéraires me boudaient, mais j’avais envie de voir ce qui se passait de l’autre côté des mots, de faire différemment, de me lancer à la conquête du monde et de ses dépendances avec une bande d’amis. Inventer un livre est relativement facile, le placer dans les mains d’un lecteur est une tâche parfois aussi compliquée que d’aller faire des bonds sur la lune.

Une vingtaine de téméraires ont investi, pour nos premières publications, un montant qui nous a permis de payer l’imprimeur et pour le reste, nous avions une grande boîte d’idées. Première équipée : Traces, un collectif de nouvelles d’une quinzaine d’auteurs du Saguenay–Lac-Saint-Jean. Peu après, la poésie de Carol Lebel et Maurice Cadet, un Haïtien devenu bleuet foncé qui enseignait à Alma. Nous avons lancé Ultimacolor de Gilbert Langevin en 1988. Tout allait bien et nous étions promis à un brillant avenir. Nous représentions fièrement cette relève qui s’était imposée un peu partout. J’envisageais même une succursale à New York pour faire un clin d’œil à Paul Auster qui venait d’offrir au lecteur sa Trilogie new-yorkaise et à San Francisco en souvenir de Jack Kerouac et Lawrence Ferlinghetti. Tout était possible dans le meilleur des mondes.

Notre directeur général, après avoir obtenu une importante aide financière du Conseil régional de développement (CRD) pour une collection de biographies d’artistes, a eu la bonne idée de prendre la route du parc des Laurentides avec la caisse dans sa vieille minoune. Disparu sans laisser d’adresse, évanoui dans la grande ville en 1990 où l’anonymat était un sacerdoce. Plus de traces, plus de nouvelles, plus de projets, plus un sou, obligation de fermer les portes, de payer certaines factures. Notre filou avait emporté bien plus que l’argent des subventions, il avait fui avec notre rêve le plus fou et le plus beau.

Mutation

À mon entrée en littérature, le monde de l’imprimé était en mutation. Il y avait le Cercle du livre de France, là depuis la venue de Jacques Cartier, il me semble, et Fides qui m’avait enchanté avec la belle collection « Nénuphar » dont je parle si souvent.

La maison dont rêvaient tous les auteurs, ceux qui portaient fièrement le dossard de la relève, était Les Éditions du Jour de Jacques Hébert. J’ai eu la chance de m’y faufiler. Pour tout dire, c’est arrivé par Gilbert Langevin, je l’ai appris beaucoup plus tard. Il avait exigé de Victor-Lévy Beaulieu qu’il publie L’octobre des Indiens en même temps qu’Ouvrir le feu et Stress. Sinon, il menaçait de planter sa poésie dans un autre jardin. Ça s’appelle entrer par la porte d’en arrière dans le monde de la célébrité. J’y ai rencontré Beaulieu et cela a changé ma vie d’écrivain. Je le suivrais dans ses multiples migrations. VLB Éditeur et Les Éditions Trois-Pistoles surtout.

Tous les lancements du Jour avaient lieu rue Saint-Denis, à Montréal. J’y ai croisé Jacques Ferron, Pauline Julien et Gérald Godin, plusieurs romanciers aujourd’hui inconnus. Une parution de Marie-Claire Blais faisait courir les foules et même certains journalistes. Avec madame Blais, il y avait des lecteurs jusque sur le trottoir et impossible d’avoir accès au buffet. Je ne ratais jamais un de ces événements arrosés. Gilbert et moi étions des participants enthousiastes et rarement nous parvenions à nous éloigner du bar. Semaine après semaine, Gilbert devait me présenter à Jacques Hébert. Il ne se souvenait jamais de moi et je me demandais s’il avait déjà regardé mon recueil de poésie. L’impression d’être l’écrivain invisible.

Signature

Comment oublier le jour où je suis devenu écrivain professionnel, le moment où j’ai signé un contrat d’édition devant Victor-Lévy Beaulieu qui fumait sa pipe en secouant sa grosse barbe qui me faisait envie. La mienne était plutôt courte et refusait de dépasser une certaine longueur. J’étais fébrile, nerveux, comme si j’allais dire oui à cette fille devant le curé Gaudiose, dans l’église de La Doré. Par hasard, je me suis retrouvé avec Raoul Duguay dans le petit bureau du directeur littéraire. Il publiait L’apokalypsô si je me souviens bien. J’étais prêt à tout accepter sans lire une ligne, à vendre mon âme au diable et à VLB pour voir mon nom sur la page d’une plaquette de poèmes. Duguay étudiait chaque article, posait des questions, évaluait le pour et le contre, hésitait, soupesait chaque bout de phrase. Ce qui aurait dû se régler en quelques minutes avait pris des heures.

Migration

Et puis Beaulieu a quitté la rue Saint-Denis pour faire un détour par les éditions de L’Aurore, avant de fonder VLB Éditeur. J’ai retrouvé là mon premier lecteur avec La mort d’Alexandre qu’il publia avec enthousiasme. Je lui avais été infidèle pour Le violoneux, m’égarant au Cercle du livre de France à cause de Guy-Marc Fournier, un ami journaliste et écrivain de ma région, l’auteur de Ma nuit et Les ouvriers. Une aventure étrange. Je n’ai jamais rencontré Pierre Tisseyre, jamais mis les pieds dans les bureaux de cette maison qui avait fait d’Alice Parizeau une vedette, jamais dit mon mot pour la jaquette qui aurait pu inspirer Stephen King. Le roman le plus laid du Québec en 1979, j’en suis convaincu. J’aurais pu remporter le prix Horreur s’il avait existé. Monsieur Tisseyre m’avait laissé entendre qu’il me publiait parce qu’il avait reçu une subvention. Ma prose ne semblait guère l’édifier et je ne crois pas qu’il ait regardé une seule ligne des aventures de Philippe Laforge, un personnage issu d’un conte qu’auraient pu imaginer Jacques Ferron ou Yves Thériault. Ce fut pourtant mon best-seller.

Un peu plus tard, je me suis retrouvé chez Québec Amérique avec André Vanasse pour Les oiseaux de glace. Une autre rencontre importante. Vanasse, qui devait lancer XYZ éditeur peu après, est devenu un ami et un confident. Cet homme généreux lit encore mes manuscrits. Je suis le plus grand des chanceux parce que c’est un redoutable pisteur et un œil de lynx.

Depuis, j’ai compris que les maisons d’édition au Québec ont la vie courte et durent le temps que le fondateur s’y épuise.

En fait, je crois que j’aurais adoré être directeur littéraire, pour l’amour du texte, pour le contact avec les porteurs de mots et le plaisir de concevoir un bel objet. La joie de pousser un roman « dans ses grosseurs », comme dit l’ami Victor-Lévy.

Qui va nous offrir un essai sur les remous de l’édition au Québec à partir des années 1970, où les entreprises se sont laïcisées (c’est malheureusement d’actualité) pour se frayer un chemin vers la modernité et se professionnaliser surtout. Beaucoup de petits artisans semblent encore bien fragiles et sur le point de disparaître, mais il y a toujours quelqu’un pour apporter une certaine fraîcheur et faire un pas vers ces inventeurs d’histoires qui m’étonnent chaque fois. C’est le plus important. ♦

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