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Le mépris n'aura qu'un temps

Le mépris n'aura qu'un temps

Avec Enfants du lichen, la poète innue Maya Cousineau Mollen nous exhorte au devoir de mémoire.

Poésie

Avec Enfants du lichen, la poète innue Maya Cousineau Mollen nous exhorte au devoir de mémoire.

S’il fallait déterminer l’incarnation végétale de la résilience, je choisirais sans contredit le lichen, cet organisme composite capable de survivre dans les sols les plus hostiles et qui pousse dans toutes les conditions. Les «enfants du lichen» ne sont pas seulement ceux d’un territoire nordique, mais aussi les descendants de ceux qui résistent.

C’est une élégie déchirante et nécessaire que propose Maya Cousineau Mollen dans son deuxième recueil, paru chez Hannenorak; une véritable ode aux mort·es et aux disparu·es, à celles et à ceux dont on connaît le nom, tout comme aux anonymes oublié·es. «En un mot, tu résumes ma valeur / En mes terres mille fois offensées», peut-on lire dans un des poèmes, qu’on devine destiné à Joyce Echaquan, cette femme abandonnée sur un lit à l’hôpital Saint-Charles-Borromée, en 2020, parce que «c’est une Indienne, c’est pas grave».

Désigner les tombes

Les strophes de l’autrice sont autant d’épitaphes qu’elle tient à graver dans les mémoires, à mi-chemin entre chants funéraires et révolte. «Que l’Histoire ouvre l’œil», écrit-elle.

Truffé de mots en innu et de références – faciles à comprendre pour quiconque possède un minimum de curiosité –, le recueil s’ouvre sur la douloureuse réappropriation de la culture autochtone par une génération qui s’est construite sur les stigmates de l’assimilation. «Je suis un pont fragile», souligne Cousineau Mollen dans son poème liminaire, dédié à son aïeule disparue.

Avec attention, la poète se regarde «dans le miroir colonial», cherche ce qui reste de sa lignée dans sa chair, sonde les terres sur lesquelles elle marche. Celles des racines: «Territoire caché et bienveillant / Qui couve son peuple blessé». Mais aussi les malveillantes: «[C]ette cité-barricade / Aux ruelles de sans-abris / Aux chemins de mille morts».

Comme le caribou, qui ne sait plus quel chemin prendre, l’ancien chasseur, chez l’écrivaine, se perd dans l’ombre des gratte-ciel. Il n’est pas aisé de comprendre d’où l’on vient quand on marche sur autant de champs désolés, expropriés, profanés. «Que reste-t-il?», demande Cousineau Mollen, en quête d’identité et de justice. Une question à laquelle personne ne semble avoir la réponse.

Entendre des voix

Dans une préface particulièrement inspirée, Hélène Cixous rappelle à notre souvenir les Euménides, ces furies que l’on trouve dans les tragédies d’Eschyle et qui réclament châtiment. Difficile de ne pas se représenter la poète dans le rôle puissant d’un coryphée moderne.

On nous croyait plus mortes que vives
Plus effacées que jamais

Nos teints cadavériques
Oripeaux des mémoires

Notre peau teintée d’or
Nos yeux de nuit infinie

Là où les Érinyes d’Eschyle appartiennent au monde d’en dessous, apparaissant sur Terre pour punir les crimes, ce troublant chœur de femmes disparues dans l’indifférence générale se veut, en un certain sens, une mise en garde.

C’est qu’avec ce rôle de porte-voix vient le droit de clamer sa peine, de redire les mots, de pleurer. «Je donne liberté entière / Aux larmes, aux angoisses / Aux brûlures à libérer / Aux flammes qui tourmentent les cœurs».

De l’innommable enfin nommé surgit la colère. Une colère dont la poète fait œuvre utile dans la seconde partie de son livre, plus courte et judicieusement intitulée «Une balle en réserve».

L’ire qu’il nous faudra écouter

Le temps, dans cette histoire, n’est pas à la vengeance, ce qui rend la poésie de Cousineau Mollen pour le moins subversive. Car il n’est pas simple d’entretenir la colère à l’époque de la réconciliation. Et il est complexe de la justifier à l’ère de l’oubli répété, érigé en institution.

Pourtant, c’est dans cette section que la force de la poète se déploie, magistrale dans sa fureur.

Aucune fondation n’est solide quand le
    sang se mêle au ciment
Quand nos pleurs sont les premiers
    chants de l’hymne
[…]
Comme tu le dis si bien, mon frère
Puisse sur le territoire s’asseoir la vérité

Maya Cousineau Mollen, enfant de Whiskey Trench, rassemble les mort·es, en fait une armée combattant l’injustice: «Le genou en privilège / Son poids, son arrogance / Contre ma gorge de couleur». Ces mort·es ont manqué d’air ensemble. Sous la plume de l’autrice, ils et elles se lèvent: «[D]e colère froide, je dirai / Chaque pas sur mes terres arides / Est un pas sur le cimetière des enfants dorés».

À bon entendeur.

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Maya Cousineau Mollen
Wendake, Hannenorak
2022, 96 p., 14.95 $