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Le dernier des terroristes?

Le dernier des terroristes?

Enquête, roman social ou encore polar écologique? Les étiquettes n’ont pas d’importance quand l’ensemble est réussi.

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Enquête, roman social ou encore polar écologique? Les étiquettes n’ont pas d’importance quand l’ensemble est réussi.

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La ville allumette commence sur plusieurs chemins, apparemment sans liens, mais qui se croiseront à mesure que l’intrigue progressera. L’auteure nous raconte ces différentes histoires en naviguant avec aisance de l’une à l’autre. Il y a d’un côté Judith Allison, sergente-détective en stage de contre-terrorisme à Hull, rapidement appelée à collaborer avec la GRC sur des cas récents de vandalisme qui pourraient préfigurer bien pire. D’un autre côté, on suit les mésaventures de Reynald Plourde, petit magouilleur et homme d’affaires exilé au Nunavik, qui a des projets d’expansion ambitieux. Et risqués. Et enfin les plans d’abord mystérieux de Jacob Lebleu, un vieil «activiste» (ou terroriste, selon le point de vue) aux revendications sociales et écologistes que les lecteurs (et la protagoniste) ont déjà pu croiser dans l’un des précédents romans de l’auteure, L’activiste: le jour des morts (VLB, 2015).

Le feu aux poudres

La «ville allumette» du titre est le surnom du Vieux Hull, où les maisons des anciennes familles ouvrières ont presque toutes été achetées dernièrement par un promoteur immobilier en l’espace de quelques mois. Certains résistants refusent de vendre, tels de proverbiaux irréductibles Gaulois. Par petites touches, Martineau construit quelque chose du roman social et écologique. Ces familles autrefois exploitées, aujourd’hui achetées, qui ont vécu dans des conditions précaires, qui s’en souvient? Les exploits de l’activiste Lebleu et de ses complices, d’abord simple vandalisme, puis incendies, explosions et meurtre ne sont pas une simple vengeance, plutôt un manifeste désespéré.

La détective Allison adhère peu à peu à ce point de vue, même si son métier consiste à protéger les citoyens, dont les plus riches, même les plus louches. C’est l’une des forces du livre de ne pas avoir séparé de façon manichéenne ces perspectives.
On ne poursuit pas ici un malade ou un génie du crime aux motifs tordus, mais un vieux révolutionnaire qui a refusé de se convertir, un homme aux principes inébranlables. Allison, qui a connu le Vieux Hull (un simple quartier du nouveau Gatineau depuis les fusions municipales forcées), comprend les valeurs de l’activiste; mais elle sait de quoi il est capable pour l’avoir croisé autrefois, et veut l’arrêter plus que tout.

Protéger les riches et les autres

Les chapitres qui se passent au Nunavik, où l’intrigue se déplace pour suivre complices et ennemis de Lebleu, sont l’occasion d’une réflexion incarnée sur les conditions de vie dans le Grand Nord, sur le racisme, la violence (notamment vis-à-vis des femmes), le crime organisé. Un constat se dessine clairement: les autorités ont presque complètement abdiqué. L’auteure réussit à le démontrer sans nous livrer un discours prêcheur, simplement en nous faisant vivre de façon dramatique, réaliste, les conflits à l’œuvre. L’expérience de Maureen Martineau avec l’ONG One Drop, qui développe des projets d’accès à l’eau potable dans le monde (elle qui fut aussi comédienne et metteuse en scène!), est certainement pour quelque chose ici.

Tout comme les différentes intrigues, qui peu à peu n’en formeront qu’une, Martineau pratique simultanément et avec bonheur plusieurs «sous-genres» du polar, si on veut y mettre des étiquettes. Il y a quelque chose du procedural, comme on dit dans la langue de Sherlock, c’est-à-dire le roman d’enquête policière proprement dite, métissé comme on l’a vu de roman social et écologique. Puis on s’approche du thriller à mesure qu’on va vers la fin. Mais attention, le roman n’est pas un simple assemblage et fonctionne parfaitement comme ensemble.

Dire que le style de La ville allumette est efficace ne lui rendrait pas vraiment justice. Martineau semble renoncer à «faire littéraire» pour laisser l’intrigue nous tirer en avant. Trop souvent ce choix stylistique produit une bouillie navrante; je pense par exemple à Michael Connelly, que ses traducteurs français se démènent pourtant pour améliorer. C’est loin d’être le cas ici. Les phrases paraissent avoir été «travaillées pour que le travail ne se voie pas», pour citer Jacques Poulin de mémoire. À part un occasionnel synonyme à notre avis inutile, placé sans doute pour éviter les fameuses répétitions honnies par des générations de profs de français, l’écriture de Martineau est impeccable. Maintenant, est-ce qu’on n’aurait pas préféré, pour notre bonheur personnel, un livre plus écrit, plus stylisé, résolument littéraire? Peut-être bien; mais ce serait une exigence bien injuste. Il faudra aller voir ailleurs pour cela.

Il n’y manquait pas grand-chose pour emporter complètement notre adhésion: plus de passion, peut-être, un plaidoyer encore plus engagé, plus enragé pour l’écologie, pour les désemparés de ce monde? Ou mieux encore: contre le Capital et ses valets politiques. ♦

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Maureen Martineau
Montréal, VLB
2018, 392 p., 29.95 $