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«La poésie, c’est le parfum de la langue»

«La poésie, c’est le parfum de la langue»
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Entretien
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En décembre dernier, Jean-Paul Daoust a accueilli, à son domicile à Montréal, les responsables du présent dossier de Lettres québécoises. La discussion, à laquelle a aussi participé Mario Savoie, le conjoint du poète, a permis de dégager les temps forts de la carrière de l’écrivain.

Lettres québécoises (LQ): Comment décririez-vous le Jean-Paul Daoust du temps des éditions Cul Q, aux alentours de 1976, alors que vous publiez votre premier livre?

Jean-Paul Daoust (JPD): À cette époque, Jean-Paul était dans la contre-culture. Parmi les tendances alors embryonnaires, il y avait le féminisme et le structuralisme, mais j’étais dans le rock and roll. La contre-culture, les lancements et les évènements littéraires étaient des raisons pour faire la fête. Je n’avais pas en tête de publier. Autour de la revue Hobo-Québec, je me suis trouvé une sorte de confrérie. Josée Yvon, Jean-Marc Desgent, Renaud Longchamps, Claude Beausoleil, Jean Leduc, Yolande Villemaire… c’étaient les auteurs qui signaient un texte à chaque édition. J’ai commencé à participer à tout ça parce que j’aimais ces gens-là et j’aimais le fait d’être iconoclaste. Comme à Hobo-Québec, la facture visuelle était très importante aux éditions Cul Q: c’est pourquoi chaque livre était différent. J’avais trente ans à l’époque, je venais de m’acheter un appartement près du parc La Fontaine, je commençais à enseigner parce que ma tante, qui avait payé mes études universitaires, me disait: «Tu dois faire quelque chose avec tes diplômes.» Ce qui m’intéressait dans l’enseignement, à cette époque, c’est qu’au cégep, on construisait les cours comme on voulait. Je ne manquais de rien. C’est bizarre, mais tout m’est arrivé sans que je le cherche, au fil du mouvement de la vie et des rencontres que j’ai faites. Cul Q, c’était comme une école, une bande d’écoliers. Tout le monde savait qu’on existait.

LQ: Vous avez dit que vous écriviez, mais que vous n’aviez pas l’intention de publier, de faire des livres. Est-ce que la performance passait avant tout? Est-ce que l’idée des livres est venue après celle d’être sur scène?

JPD: Mon premier recueil de poèmes, Portrait d’intérieur, c’est Bernard Pozier, et surtout Louise Blouin, qui m’a dit: «Tu as des textes partout, on va les rassembler dans un livre.» Je voulais faire un centerfold, je voulais que ce soit la manière dont j’entre en littérature. Tout nu avec une peau de zèbre et une bouteille de champagne. On a fait le lancement dans une galerie de photographie. Il y avait Alys Roby en bigoudis. C’était un premier recueil qui allait dans toutes les directions. Il y avait quand même un ton urbain, je dirais.

LQ: Portrait d’intérieur, c’est aussi une ouverture sur votre intimité, sur votre intérieur. Comment caractériseriez-vous cet intérieur? De quelle manière a-t-il évolué?

JPD: Tous mes livres partent de mon vécu. La poésie a été mon fil d’Ariane. Je m’en servais pour parler de choses que d’autres trouvaient sans importance. Aujourd’hui, il y a l’autofiction. Je faisais un peu la même chose, mais en poésie. Je me faisais dire: «Tu n’as pas honte d’écrire sur la solitude, sur l’alcool, sur l’homosexualité?»

LQ: Plusieurs de vos recueils encensent le corps des hommes et leur beauté. N’a-t-on jamais fini de détailler le corps masculin? Est-ce une thématique que vous jugez inépuisable?

JPD: On parle beaucoup du corps de la femme en poésie, moins de celui de l’homme. Parce que je suis gai, j’ai une perspective, une sensibilité qui m’appartiennent. L’autre est masculin, comme moi, et je le convoite physiquement. C’est par le corps que commencent nos rapports sensibles à l’autre; c’est par le corps que ça finit aussi! À notre époque et dans le pays où nous sommes, il y a cette possibilité d’explorer un corps du même sexe que le nôtre sans être jugés. C’est un érotisme qui existe et qui doit exister partout. Ici, on a la liberté d’avoir une littérature queer.

LQ: Votre parcours fait instantanément penser au livre Réflexions sur la question gay, de Didier Éribon, dont la première phrase est «Au commencement, il y a l’injure.» Comme si ce qui nous définissait, en tant que gais, en tant que queers, c’étaient l’homophobie, la queerophobie. Est-ce que votre écriture peut être vue comme une réponse à cette injure?

jp

JPD: Je ne pouvais pas passer à côté: gai, c’est ce que je suis. C’est dans ce sens que je pense avoir été très naïf. Je ne pensais pas que le sujet pouvait choquer des gens, mais j’écrivais, comme la chanson de Marjo, pour provoquer. Je m’amusais à provoquer. Le meilleur exemple, c’est Black Diva. Même des personnes gaies me disaient: «Comment as-tu pu oser écrire ça!»

LQ: Vous êtes aussi véritablement une diva noire. Dans la mesure où vous vous montrez critique, tragique. Votre œuvre a des accents très graves, irrévérencieux par moments. C’est une tension très présente dans vos textes. Croyez-vous que ce ne soit pas toujours mis de l’avant lorsqu’on parle de votre œuvre?

JPD: Je suis toujours entre la tendresse et la révolte. Entre la tendresse et la rage. À Plus on est de fous, plus on lit!, j’écrivais des textes drôles, mais sarcastiques. Je pense qu’il y a une douce mélancolie à travers tout ça. Le fait d’avoir eu une enfance volée fait que toute notre vie adulte, on essaie de calfeutrer, de cautériser le trauma. La poésie m’a permis de cicatriser. En retour, la poésie m’a surpris. Elle m’a emmené dans des endroits où je ne pensais pas aller. C’est la beauté de l’écriture.

LQ: Avez-vous des exemples?

JPD: Les cendres bleues, évidemment. Au départ, je voulais écrire un texte en prose sur mon enfance à Valleyfield. Toute cette histoire, je l’avais complètement enfouie, oubliée. En écrivant, j’ai tout retrouvé. C’est un livre que je ne voulais pas publier, que Mario a ramassé dans la poubelle. J’ai écrit des choses que je ne voulais pas nécessairement dévoiler.

LQ: Dans votre œuvre, il y a deux grands recueils qui parlent d’évènements très marquants: le décès du père dans Dimanche après-midi et l’enfance volée dans Les cendres bleues. Est-ce que l’écriture vous a permis d’apprivoiser de tels évènements?

JPD: Ça m’a permis de faire mon deuil. Pour moi, les mots nomment les choses. Dans Les cendres bleues, je donne la parole à un enfant de six ans, alors qu’à six ans, je n’avais pas la possibilité d’avoir une parole.

LQ: Dans la réception de votre œuvre, on remarque un avant et un après Les cendres bleues. Est-ce juste, selon vous?

JPD: C’est vrai qu’avec Les cendres bleues, il y a eu un avant et un après. Le recueil a rejoint un grand lectorat. Le Prix du Gouverneur général a mis ma poésie sous une nouvelle lumière. Je savais qu’après Les cendres bleues, je créais des attentes. C’est pour cette raison que je suis allé dans une direction complètement opposée avec le recueil qui a suivi, L’Amérique. Je suis sorti de l’autobiographie en explorant le territoire politique et géographique des États-Unis. Avec L’Amérique, je trouvais que c’était important de faire part de mon vécu au Michigan pour faire le contrepoids aux écrivains qui avaient le regard rivé sur la France. Je voulais montrer, autant dans le propos que dans le corps du texte, la grandeur du territoire américain. Autant j’ai souffert à écrire Les cendres bleues, autant je me suis fait plaisir à écrire L’Amérique. On oublie souvent qu’il y a un côté festif à l’écriture.

LQ: L’Amérique est le premier volet d’un cycle dans votre œuvre: L’Amérique, 111, Wooster Street, Sand Bar. C’est un retour aux sources américaines.

JPD: Le témoignage de toute une époque. Je pars du continent américain, je ratisse à New York et je termine dans un espace clos, un bar. Je n’étais pas conscient que j’écrivais une trilogie. C’est seulement après que je me suis rendu compte que ces trois livres se tenaient thématiquement.

LQ: Il y a d’autres cycles dans votre œuvre, d’autres titres qu’il est possible de rapprocher. Nous pensons aux Saisons de l’ange et à Cobra et colibri, plus contemplatifs, plus près de la nature. D’autres livres sont plus près de l’homosexualité, comme Black Diva et Les garçons magiques. Pensez-vous votre œuvre en fonction de cycles?

JPD: Non, je n’avais pas de plan de match théorique avant d’écrire. Je remarquais le lien après l’écriture. Chaque recueil arrive selon l’atmosphère du moment. C’est sûr que les thèmes finissent par se recouper. C’est comme des vagues. Je préfère la pratique à la théorie. L’image qui me vient en tête, quand je réfléchis à mon œuvre, c’est une gare avec toutes les voies qui convergent quelque part dans l’immensité du bâtiment. Au premier regard, tout a l’air chaotique, mais tout finit par s’organiser. Pour écrire, il faut que le train sorte de la gare.

LQ: La forme de vos textes est très plurielle, très moderne. Des recueils comme La peau du cœur et son opéra donnent à lire une prose poétique très personnelle. D’autres textes, dont ceux de Suite contemporaine, sont éclatés et disséminés sur toute la page. Les poses de la lumière présente des quintils. Vous avez publié des poèmes narratifs comme Les cendres bleues ou les Odes radiophoniques. Au début d’un livre, avez-vous une idée de la forme que prendra l’écriture?

JPD: Oui. Quand le poème commence, je devine la forme que je vais lui donner. Mais je ne plaque pas un poème dans une forme. C’est en écrivant que je détermine la forme. Mon œuvre présente parfois des répétitions, des sortes de mantras, d’incantations; ce n’est pas au profit du poème, mais au profit de sa forme. Ça doit venir de mes racines catholiques, quand je devais réciter la litanie de tous les saints durant le carême. Je crois qu’inconsciemment, le rythme de ma poésie vient de celui de la messe en latin. La répétition est une sorte d’envoûtement. Par ailleurs, je savais que certains textes, quand je les écrivais, seraient ensuite lus devant un public. Leur forme dépendait alors de la mise en scène, de la salle.

LQ: Votre œuvre présente une tension entre prose et poésie. Est-ce un trait distinctif de votre écriture?

JPD: Quand j’ai lu Les petits poèmes en prose de Baudelaire, je me suis dit: «La poésie, ça peut aussi être ça.» Dans mon recueil Taxi, les textes sont très serrés pour montrer une sorte de claustrophobie. Visuellement, le livre ne respire pas. C’est lancinant, ça devient un texte-performance.

LQ: Vous paraissez tenté par la narration: qu’on pense à Sand Bar, au Désert rose. Croyez-vous résister au roman, à la prose?

JPD: Je vais être direct: écrire un roman, c’est fatigant. Ça demande tellement de travail et je suis paresseux. Ce n’est pas la même énergie que pour la poésie, ce n’est pas le même univers. Tous ces mots qu’il faut mettre ensemble pour créer une histoire… Je l’ai fait à quelques reprises pour me prouver que j’étais capable de le faire, mais ce n’est pas ça qui m’intéresse dans l’écriture. En poésie, en quelques vers, il est possible de dire tout un imaginaire qui prendrait quarante pages dans un roman. Ma poésie ne tourne toutefois pas le dos à la prose, mais c’est toujours la figure du poète comme porteur d’images que je privilégie. La poésie, c’est le parfum de la langue; le roman, c’est plutôt une eau de toilette.

LQ: Pour vous, le dandysme apparaît comme une éthique, une façon d’exister dans le monde, une esthétique. Considérez-vous le dandysme comme votre art poétique?

JPD: Oui. Dans Du dandysme, je prends la parole, je formule des partis pris. Je dis ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Ce n’est pas être superficiel, au contraire. Pour moi, le dandysme, c’est m’inscrire dans la continuité d’écrivains que j’ai aimés: Baudelaire, Oscar Wilde, Jean Cocteau, Marcel Proust. Avec le dandysme, j’ai l’audace de dire que je veux faire de ma vie une œuvre d’art. C’est quelque chose que je peux assumer grâce à toutes les lectures qui m’ont nourri. Le dandy est un être fondamentalement marginal et original. En tant que dandy, j’ai un point de vue particulier sur la condition humaine et la société. La plupart des dandys finissent mal! Il y a un côté très tragique dans l’image du dandy. Le dandysme est un outil de travail, une clé qui me permet d’exister à ma manière.

LQ: On vous connaît beaucoup pour vos textes qui parlent de villes et de voyages, mais certains de vos recueils sont plus près de la nature. Comment expliquez-vous ce versant plus contemplatif de votre œuvre?

JPD: Ce sont les voyages qui amènent la contemplation. Voyager permet de regarder les choses comme si c’était la première fois, hors du quotidien. En voyage, on se pose et on regarde autour de nous. C’est un autre rythme, une autre allure temporelle qui n’est plus linéaire. La nature a toujours été importante pour moi. On dit que j’ai été un dandy urbain, mais j’ai parlé de la nature dans mes premiers textes. Même dans Les cendres bleues, le lac est un personnage. La ville et la nature sont deux univers qui se juxtaposent et entrent en dialogue. Par exemple, je ne vais pas à la campagne pour refuser la ville, et inversement.

LQ: Votre recueil Le vitrail brisé est un de vos ouvrages les plus aboutis, personnels et tragiques depuis Les cendres bleues. Il parle du corps souffrant. Aujourd’hui, quel est le rapport que vous entretenez avec votre corps?

JPD: Présentement, ce que j’appréhende, c’est la vieillesse, la dernière étape de la vie. Le corps se transforme en vieillissant et c’est toujours un peu paniquant. Je fais souvent des crises d’angoisse, peut-être en partie à cause de ma prise de conscience que mon corps s’en va vers la dernière étape. La mort, je la voyais dans le rétroviseur. Je l’ai vue dans le chemin, ensuite dans la fenêtre. Maintenant, elle est à la porte. C’est le corps qui subit le premier tous ces changements. Peut-être que mon écriture sous-tend inconsciemment des thématiques liées à ça. Le vitrail brisé, c’est le corps qui est, justement, brisé. Ce sont de courts poèmes, que je ne pouvais écrire qu’en prenant une dose de morphine qui enlevait ma douleur. La douleur du corps, je la connais. Plein de personnes autour de moi, que j’ai connues et aimées, s’en vont. Elles sont mortes ou très malades, et ça nous ramène toujours à nous-mêmes. On se dit: «Je serai peut-être le prochain.» On ne sait pas. C’est l’épée de Damoclès qu’on voit plus clairement, mais ça reste quelque chose de naturel à apprivoiser.

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