Aller au contenu principal

La nuit bienveillante

Cinq livres écrits en vingt-cinq ans, c’est peu ; mais c’est bien assez pour aider à comprendre le drame d’une vie.

Thématique·s
Poésie

Cinq livres écrits en vingt-cinq ans, c’est peu ; mais c’est bien assez pour aider à comprendre le drame d’une vie.

Thématique·s

À peine avais-je reçu le recueil de Lynn Diamond que j’apprenais son décès. Le chagrin m’est venu à propos de cette femme que je n’ai croisée qu’une fois, il y a bien longtemps. Qu’on ait été habile ou non à tisser autour de soi le cocon des amitiés littéraires, me suis-je dit, on a tous droit, à l’heure de la mort, à une affectueuse attention de la part de ses pairs.

Parfois, la poésie se présente comme le résultat d’un labeur difficile et complexe, offrant au lecteur un ensemble de phrases biscornues dont il devra chercher longtemps la signification. À l’inverse, certains poètes nous abreuvent de vers si simplets qu’on se demande où s’y trouve la créativité. Au Québec et ailleurs, la tendance est à une extrême lisibilité, et se voir adouber comme auteur est devenu un grand rêve à la portée de tous.

Mais, à moins d’être un génie, il faut une certaine somme d’expérience pour maîtriser l’art poétique et savoir choisir les mots justes parmi les multiples possibilités qui s’offrent pendant l’écriture. Lynn Diamond, qui publiait en 2018 son premier livre de poèmes, a quant à elle évité les écueils de la débutante. Dans ses pages, aucune affectation, nul faux pas dans la structure des phrases, et point de métaphores casse-cou. Cela dit, Tout l’azur dans la nuit profonde n’est pas un grand livre, et il n’y a pas là non plus une révolution du langage poétique. C’est simplement un livre très juste. Juste comme doit l’être une réelle descente en soi-même.

Que retient-on de ce petit recueil ? Beaucoup de naturel et d’aisance, venus à Lynn Diamond par la fréquentation des autres livres. Sur son blogue, elle définit la lecture comme la « descente phosphorescente » d’un être humain vers un autre. Joli, n’est-ce pas ? Dans le même article, on apprend qu’à peine sortie de l’enfance, elle s’est adonnée avec passion — et obsession — à la lecture des grands auteurs. Il nous vient à l’esprit qu’elle a peut-être préféré la lecture à l’écriture. En cela, elle ne serait pas une exception.

De son roman Le corps de mon frère, paru en 2002, il m’était resté l’image d’une femme de talent qui tâche d’apprivoiser les démons de son passé familial. C’est peu de dire que Lynn Diamond écrivait dans le territoire de la mémoire, et ses poèmes apparaissent ici comme une suite logique à sa prose. La femme y embrasse toutes les expériences de sa vie pour en tirer une leçon d’humanité, cherchant ainsi à accorder « sa respiration / au souffle des vivants ». On ne peut que saluer cette ouverture et ce partage, surtout quand ils sont le résultat d’un lot d’épreuves qui auraient pu avoir tout l’effet contraire.

Profonde comme le jour : l’obscurité

C’est dans le thème de la nuit que Lynn Diamond a puisé ses poèmes. Elle en est d’ailleurs si consciente qu’elle a intitulé « Lumière » le texte écrit sur la tombe de son père. La poète se savait accompagnée par ses morts. Étrangement, leur souvenir est associé à une lumière crue et fulgurante, alors que la relation avec les vivants prend davantage son sens dans la fraîcheur de l’ombre, qui représente pour Diamond le lieu du dialogue : « Tes yeux ouverts à ma douceur / et ton esprit enlacé à ma violence ». La nuit est un endroit pour se recueillir avec l’autre, un espace de transfiguration où il est possible de retrouver « les mots qui nous ont permis / de continuer à vivre / quand tout semblait perdu ».

L’intimité est donc essentielle chez Diamond. Elle dira de l’homme qui est couché au creux de son lit : « Il est mon ange déployé/Et mes jours et mes nuits ». Et parce qu’il représente « tout l’azur dans la nuit profonde », il donnera son beau titre au livre.

À la faveur des voyages et des séjours à l’étranger, il semble que Lynn Diamond a aimé ses semblables d’un amour plein d’empathie. Pourtant, la solitude était parfois totale et pouvait durer « des semaines », jusqu’à devenir une menace. Et alors :

Le temps n’existe plus
Cette chambre est ma dérive
Mon silence
Une enclave en dehors du gouffre
Une traversée de la porte des jours

Finalement, la nuit s’avère un refuge pour qui subit les blessures d’un quotidien difficile. Encore faut-il accepter d’effectuer le trajet de la lumière à l’ombre. « J’ai marché de l’aube à la nuit / pour sauver mon corps et mon esprit ». Il faut peut-être se savoir au bout du chemin pour se permettre une telle franchise, il faut pouvoir envisager la mort en face : « Pousse mon esprit / parcelle par parcelle / dans un espace béni / et sans mot ». ♦

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Lynn Diamond
Trois-Rivières, Écrits des forges
2018, 58 p., 14.00 $