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La chance d’être Franco-Ténoise

Dossier

On m’a proposé d’écrire cet article, car j’ai publié un recueil de poésie bilingue. Mon texte doit traiter de l’écriture en français aux Territoires du Nord-Ouest (TNO). Je parle couramment le français et c’est ma langue maternelle, mais je parle aussi couramment l’anglais, que j’ai appris en très bas âge. Cette dualité en moi me rend parfois la vie compliquée, notamment quand on me demande de m’exprimer à propos de mon écriture dans une langue précise sans parler de l’autre.

Je suis Franco-Ténoise. Je suis franco-phone. Mes parents sont francophones et mes grands-parents le sont également. La francophonie est dans mon sang. Le français, spécialement aux TNO, est beaucoup plus qu’une simple langue. C’est une culture. Nous vivons le français dans nos veines, jusqu’au plus profond de nous.

Yellowknife, la capitale des TNO, est une région majoritairement anglophone. La communauté francophone est très petite et très indépendante. Seulement 3,2% de la population est francophone. Par contre, seulement 1,5% de celles et ceux qui se déclarent francophones parle le français à la maison. Nous avons notre propre station de radio, notre propre école, notre propre commission scolaire, notre propre collège, nos propres organisations pour nous entraider et notre propre journal, L’Aquilon. D’ailleurs, c’est dans cet hebdomadaire que j’ai commencé à publier mes poèmes en 2017.

Au début, quand mes textes ont été imprimés, la plus grande partie de ma communauté l’a su automatiquement. Nous lisons presque tous L’Aquilon, et ceux et celles qui ne le font pas apprennent les nouvelles par le bouche-à-oreille. Une petite enfant de onze ans, moi à l’époque, a été approchée par des dizaines de personnes en quelques mois seulement, pour une demande d’interview ou pour me féliciter.

Quand j’étais plus jeune, j’écrivais ce que je voulais. Ce n’était pas aussi important qu’aujourd’hui. Par contre, je ne suis plus une enfant. Quand j’écris quelque chose, beaucoup de membres de ma communauté francophone vont le lire et prendre mes mots au sérieux. Je dois leur rendre hommage. Je n’écris pas juste pour moi; j’écris pour ma famille, mes ami·es, la famille de mes ami·es, et tout le monde dans ma ville qui parle la même langue que moi.

Il est difficile de parler en français au quotidien à Yellowknife. Il est encore plus difficile de continuer à parler français à Yellowknife. Tous les livres populaires, la musique, les films et les émissions sont uniquement en anglais. Presque toutes les écoles sont anglaises, ainsi que la majorité des activités extrascolaires. C’est pourquoi plusieurs jeunes franco-ténois·es perdent leur langue si facilement. J’essaie de ne pas devenir l’une de ces jeunes, ce qui est difficile, considérant que je fréquente une école anglaise et que toutes les activités là-bas sont offertes dans cette langue. Écrire de la poésie en français m’aide énormément.

Parce que je suis parfaitement bilingue, certaines personnes me demandent: «Comment écris-tu en anglais et en français?» Je suis francophone et Franco-Ténoise, mais je suis aussi anglophone. Je vis en paix avec deux langues et j’écris de la poésie dans les deux langues. La vérité, c’est que je n’ai pas de bonne réponse. J’écris quand il me tente, dans le langage que je crois qui irait mieux avec ce que j’écris sur le moment. Même si je suis culturellement Franco-Ténoise, la langue de ma poésie m’importe peu. Pour être honnête, j’oublie couramment ce que j’écris de toute manière.

Et d’une manière ou de l’autre, j’adore écrire. Je continuerais d’écrire même si j’oubliais comment parler. La poésie, comme le français, est une partie importante de ma vie. Je ne crois pas que je pourrais vivre sans. La poésie, spécialement la poésie en français, m’aide à rester contente.

Cela dit, il y a néanmoins des sujets que je préfère écrire dans une langue plus que l’autre. Par exemple, il est plus facile pour moi de composer des poèmes tristes avec des thèmes sombres en anglais. Peut-être parce que je n’aime pas associer la peine à ma langue maternelle. Inversement,
je préfère écrire sur des thèmes plus joyeux en français, comme la nature, la neige et l’amour.

J’adore avoir le choix d’écrire dans plus d’une langue. Contrairement aux personnes unilingues, qui sont aux prises avec une seule langue dans tout ce qu’elles font, j’ai le choix. Je peux décider si j’achète un livre en français ou en anglais, ou si j’écris dans une langue ou l’autre. Je peux écouter toute la musique que je veux (et comprendre), et même me moquer des accents ridicules des acteurs anglais qui parlent français pour un rôle.

Le bilinguisme enrichit énormément ma vie et la poésie en français encore plus.


Séréna A. Jenna est une adolescente de quinze ans originaire de Yellowknife, aux TNO. Elle a commencé à écrire de la poésie à dix ans et, l’année suivante, on pouvait la lire dans le journal local, L’Aquilon. Elle est recrutée pour publier un recueil de poésie à treize ans: EuphoriAE paraît un an plus tard. Séréna A. Jenna est passionnée de lecture et de mythologie grecque et adore écrire plus que n’importe quoi au monde.

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