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Je n’écris pas hors province

Dossier

La naissance de la littérature franco-canadienne me semble directement liée au rejet du Canada français par le Québec à la fin des années 1960. Du temps où Gabrielle Roy était une autrice canadienne-française, on n’avait pas à se demander si elle appartenait à la littérature québécoise ou bien à la littérature franco-manitobaine. La terminologie franco-canadienne est d’ailleurs somme toute récente. Pour moi, c’est une évolution inclusive du terme canadien-français, un besoin nécessaire pour s’affranchir du colonisateur «hors-Québec». Si ma réflexion sur la question n’est pas arrêtée, je suis certain d’une chose: je n’écris pas hors province.

Cette naissance découle aussi du besoin des communautés minoritaires de se redéfinir pour pallier leurs absences répétées sur les plateformes médiatiques dites nationales, héritées de cette époque. En effet, on associe souvent l’abandon du Canada français par le Québec à un accaparement par les Québécois du monopole du fait français au Canada. L’idée n’est pas ici de poser un jugement sur le projet national et ce qui en a résulté, mais de dresser un constat de ses conséquences sur les communautés francophones délaissées par l’initiative québécoise.

Dans la décennie qui suit la rupture naissent notamment les Éditions d’Acadie en 1972, Prise de parole en 1973, et les Éditions du Blé en 1974. Ces maisons font figure de pionnières dans l’Ontario français, l’Est et l’Ouest du pays. À elles se rajouteront d’autres joueurs au fil des ans, qui se rassembleront pour créer à la fin des années 1980 l’organisme connu aujourd’hui comme le Regroupement des éditeurs franco-canadiens1. Ce front commun permettra des échanges, un rassemblement plus important de par le poids cumulé du nombre, et des partenariats et initiatives (avec le Québec, entre autres), qui assureront petit à petit une meilleure visibilité de cette littérature d’un océan à l’autre.

Ceci dit, il y a loin de la coupe aux lèvres et la situation m’apparaît encore très fragile. Le manque de visibilité, la difficulté de rejoindre un lectorat à l’extérieur des frontières provinciales, le manque de reconnaissance de la littérature locale dans les programmes scolaires provinciaux ne sont qu’une série d’exemples des défis auxquels peuvent faire face les maisons d’édition et leurs auteur·rices.

Par ailleurs, sans initiatives discrétionnaires favorisant la présence de francophones en milieu minoritaire chez divers bailleurs de fonds, je doute que cette place ne se fasse d’elle-même dans les festivals, salons du livre et autres initiatives du milieu littéraire. On n’a qu’à constater l’absence, la plupart du temps, d’une section franco-canadienne dans les librairies. Nos œuvres se retrouvent diluées dans la section de littérature québécoise, ou quelquefois dans une section «littérature canadienne», laquelle section nous exclut aussi par moments, pour se limiter aux œuvres canadiennes-anglaises traduites vers le français. Vous pouvez également le constater dans la place accordée aux «franco-minos» dans la programmation de votre événement littéraire préféré. Il y a fort à parier qu’elle ne sera pas à heure de grand achalandage. Qu’à cela ne tienne, ça pourrait être pire, on pourrait être absents.

Il serait ingrat de ma part de ne pas souligner que je suis le produit direct de ces initiatives pour mettre de l’avant les littératures francophones en milieu minoritaire. Très tôt dans mon parcours, j’ai bénéficié de ces partenariats qui ont propulsé mon travail de créateur et lui ont permis de se faire une place un peu partout au pays. Pour cette raison, j’ai aussi très tôt compris qu’une partie de mon travail serait à la fois d’affirmer ma différence, de la revendiquer, et, selon le degré d’ignorance de mes interlocuteur·rices, de confirmer qu’elle existe et que je n’en suis pas le seul porteur.

Je me demande rarement à quelle littérature j’appartiens avant d’écrire. J’ai l’impression que cette étiquette provient de ceux qui la réfléchissent au-delà de mon geste créateur. Certes, il y a des parentés dont je me réclame, des courants qui m’inspirent,etc., mais d’abord et avant tout, j’écris. Après, du moment que mon travail est publié, celles et ceux qui voudront bien le lire choisiront d’en faire ce qu’elles et ils veulent. C’est vertigineux et formidable lorsque cette œuvre que l’on a construite nous échappe. Ça fait partie du privilège d’être lu.

Une autre chose demeure claire. Je suis un Acadien qui écrit en français. Si cette littérature ne possède pas de section dans les bibliothèques ou librairies au Québec, je n’en connais pas moins plusieurs de ses acteur·rices et auteur·rices, et c’est avec eux, d’abord, que j’ai choisi d’écrire. Ensuite, de par mon statut de minoritaire, je me sens tout de suite une filiation avec les communautés périphériques et la littérature qui s’y développe. À cela s’ajoute la fraternité quand je croise bon nombre de Québécois. Cependant, lorsque l’on présente mon écriture comme de la «littérature québécoise», je souris, surtout parce que je ne sais trop que faire de cela, parce qu’être Québécois·e veut dire quelque chose dont je suis territorialement exclu.

Ce sourire je le déploie, quelque part entre la gêne, la peur de l’appropriation ou encore de la colonisation de mon identité. Je pense entre autres au jour où mon titre Acadie Road (Perce-Neige, 2018) s’est retrouvé en tête d’un palmarès de poésie québécoise. J’étais heureux d’y être, mais en avais-je la légitimité? Qu’à cela ne tienne, l’étiquette me semble l’affaire des autres, alors que de mon côté, j’aspire avant tout à créer.

Alors, pour revenir à la question de départ – à savoir si oui ou non la littérature franco-canadienne existe –, la réponse courte est oui. Existe-t-elle parce que celles et ceux qui l’écrivent l’inventent ou, au contraire, l’ont-elles et l’ont-ils inventée pour qu’elle existe? La réponse se trouve sans doute quelque part entre ces trois affirmations… Quant à la place qu’elle occupe ou occupera, c’est et ce sera à celles et à ceux qui prendront le temps de la lire de la lui accorder. Et ça aussi, c’est à la fois formidable, vertigineux et imprévisible comme suite des choses.

 


Gabriel Robichaud vient de Moncton et a grandi à Dieppe. Comédien, il écrit, met en scène et chante aussi. Il compte à son actif trois recueils de poésie et deux pièces de théâtre et participe à divers projets collectifs et inédits. Il dirige la collection «Théâtre» des Éditions Perce-Neige.

  • 1. En 1989, le Regroupement des éditeurs acadiens et canadiens-français (RÉACF) voit le jour. Il deviendra le Regroupement des éditeurs canadiens de langue française (RÉCLF), puis le Regroupement des éditeurs canadiens-français (RECF) en 1998. En 2017, il est rebaptisé Regroupement des éditeurs franco-canadiens (REFC).
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