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Il faut être absoluement postmoderne

Il faut être absoluement postmoderne

Brillants, les essais de ce livre, aux tonalités variées, éclairent très bien la notion de postmodernisme et ses possibles.

Essai

Brillants, les essais de ce livre, aux tonalités variées, éclairent très bien la notion de postmodernisme et ses possibles.

Avec leurs ouvrages nichés mais ouverts qui explorent plusieurs disciplines, les éditions Varia sont précieuses dans le paysage de l’édition québécoise contemporaine et pour la pensée essayistique. Leur catalogue aux ambitions rhizomatiques est parfois dense, bien que léger, tel un danseur nietzschéen. Ce printemps s’est ajouté le plus récent titre publié sous la direction prometteuse de Chantal Boulanger, Nicolas Mavrikakis et Laurent Vernet, L’illusion postmoderne? Comme le suggère le sous-titre, on nous propose des réflexions sur l’évanescence de ce concept en arts visuels. Le collectif est agrémenté de plusieurs reproductions en couleur d’œuvres, de photos d’archives et de prises de vue d’expositions. Il y a aussi la présence – somme toute discrète – des dessins de Clément de Gaulejac, qui donnent un bel accent et une élégance au livre.

Plus de vingt collaborateur·rices – artistes, praticien·nes, essayistes, critiques – mettent leur pierre à l’édifice du postmodernisme, ce mouvement hétérochronique, pasticheur à ses heures, ironique et jouant avec l’appropriation comme une boîte à surprise. Tenter de résumer ici chaque texte est assez difficile, tant le bouquin est foisonnant, parsemé d’exemples éclairants, de légères digressions et de chemins de traverse originaux. La force de l’essai, c’est qu’il n’analyse pas seulement son sujet sous l’angle «théorico-académique». Afin d’étayer leurs propos, les contributeur·rices utilisent plusieurs médiums, tels que la photographie, la performance, l’art public et la pratique muséale, comme pierres angulaires de leurs réflexions. Pour plusieurs essayistes et praticien·nes, l’œuvre de Jean-François Lyotard demeure un point d’ancrage important et sert de bougie d’allumage pour repenser cette «école» et en établir l’histoire, bien que le mouvement lui-même se dissocie des grands récits.

Forme de l’histoire

La structure de l’ouvrage est impeccable: elle débute par les origines du postmodernisme, esquissées par un Nicolas Mavrikakis captivant, toujours bluffant de précision, puis elle passe aux prises de conscience culturelles et sociopolitiques du mouvement et à la façon dont il influence plusieurs artistes actuel·les. En cela, les textes des praticien·nes se révèlent souvent très inspirants et instructifs, assez décomplexés dans leur manière d’aborder le postmodernisme. J’aurais toutefois été curieux de voir ces auteur·rices déployer encore plus leur pensée. Aussi très riches, les quelques «apartés» essayistiques ne regorgent pas de réponses toutes faites; ils contiennent davantage de questions que de certitudes. L’ouvrage se termine sur deux visions qui charmeraient à coup sûr l’écrivain de science-fiction Alain Damasio: un texte délirant de Niekolaas Johannes Lekkerkerk dans lequel l’auteur imagine le «mycélium érigé comme langue commune entre l’humain et le non-humain»; un autre de Bénédicte Ramade, qui pense la postmodernité à travers le prisme de l’anthropocène et propose une «transmodernité, totalement hybride[,] […] sorte de résolution des antagonismes de la postmodernité».

Évanescence et liberté

En refermant le livre, je ne suis pas tout à fait certain que le terme «évanescence» convienne pour qualifier ce mouvement, ou plutôt cette «attitude», pour reprendre les mots de Michel Foucault. Le postmodernisme souffre parfois d’une «aveuglante pluralité», dont parle Laurent Vernet dans son texte sur l’art dit «public». Il n’en demeure pas moins une prise acérée sur le monde, une forme changeante, adaptable, comme l’est toute forme de vie. Ce n’est pas un art qui nous émeut personnellement ou intimement, mais collectivement. Le postmodernisme, aux portées plus sociologiques et/ou politiques, nous fait voir, comme l’indique Chantal Pontbriand dans son article, le lien «entre soi et l’autre, entre l’individu et la collectivité, entre soi et l’expérience du monde». Ses dispositifs et l’aspect performatif de sa pratique interrogent les spectateur·rices et les laissent face non plus à un dieu-artiste, mais à un chaman. Comme la performance I Like America and America Likes Me, de Joseph Beuys, qu’analyse avec brio Boulanger.

J’ai la vive impression que le postmodernisme, en performant les processus de réflexion et de création, en jouant avec les différentes lignes de temps des récits et en mettant en relief l’histoire des minorités, nous renvoie une image de nos existences et des relations que nous créons. Il le fait encore plus que la modernité, davantage statique, prisonnière, si l’on veut, de la «grande histoire». Ce mouvement serait-il à même de nous rendre plus libres, ou s’agit-il d’une illusion? Cet essai nous fournit les clés pour entamer une telle réflexion.

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Collectif
Montréal, Varia
2021, 276 p., 27.95 $