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À fond de train

Dans l’autobiographie Rien de grave n’est encore arrivé, la chanteuse Martha Wainwright révèle une grande part intime d’elle-même et brosse par la bande le portrait de sa lignée familiale, composée d’artistes doué·es.

Thématique·s
Autobiographie

Dans l’autobiographie Rien de grave n’est encore arrivé, la chanteuse Martha Wainwright révèle une grande part intime d’elle-même et brosse par la bande le portrait de sa lignée familiale, composée d’artistes doué·es.

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Pour qui aime le travail de Martha Wainwright, il ou elle trouvera dans ce livre de la matière intéressante pour connaître davantage la femme derrière la musicienne. Sans pudeur, l’autrice dévoile ce qu’il lui a fallu de détermination pour faire sa place au milieu d’une tribu talentueuse. Car si on peut penser que celles et ceux qui nous précèdent nous ont facilité les choses, c’est sans compter les incessantes preuves que l’on doit présenter pour être à la hauteur, tout en conservant notre propre style et en revendiquant notre unicité. Fille de Kate McGarrigle et de Loudon Wainwright III, deux vedettes du folk canadien et américain, sœur du célèbre chanteur Rufus Wainwright, Martha a peut-être reçu le feu sacré de la musique à la naissance, mais le reste lui appartient.

Le poids des origines

Malgré une carrière auréolée de succès et une notoriété maintenant bien établie, Martha Wainwright est en proie à des questionnements, qu’elle expose franchement au fil des pages. Ce n’est pas tant le regard du public et de la critique qui l’affecte le plus à ses débuts, mais celui de son frère, de ses parents et de ses proches. Affublés d’egos aux proportions considérables, les membres de la famille aiment briller et être au centre de l’attention. Les personnalités s’entrechoquent; les liens se distendent, puis se resserrent à nouveau. Les émotions sont souvent à vif, l’exigence des un·es envers les autres est grande, mais la fierté de faire partie de «ce fameux cirque bohème» semble bien palpable.

Tout de même, les failles du doute restent compliquées à colmater pour Martha, qui vit une adolescence plutôt morose dans une famille atypique. Elle demeure à Montréal avec sa mère et son frère et fait des sauts quelques fois par année chez son père, à New York. Jeune femme, elle s’établit pour de bon à la Grosse Pomme afin de se lancer dans la carrière artistique. La quête d’elle-même prend de nombreux détours, qui s’incarnent dans la consommation de drogues et d’alcool, la propension à l’autosabotage ainsi que la perte de temps et d’énergie dans de vains espoirs amoureux. Mais comme l’évoque le titre du livre, les conséquences paraissent plus ou moins graves; du moins sont-elles réversibles. On peut également l’interpréter dans un sens ironique: il apparaît comme un sourire en coin puisque tant d’obstacles ont surgi au cours des années. Quoi qu’il en soit, la rivière suit son cours au-delà des écueils, comme toute vie, faite de joies et de doléances. Cette existence se joue peut-être un peu plus près du feu, pas seulement celui de la rampe, mais celui du danger lié aux excès de toutes sortes.

Affronter les périls

La mort de sa mère en 2010, qui survient presque en même temps que la naissance difficile de son premier fils, est une étape charnière pour Martha. Plusieurs prises de conscience s’opèrent lorsqu’elle vit son deuil et qu’elle assume son nouveau rôle de maman. Elle reste pendant longtemps submergée par le chagrin, mais cette perte l’oblige à s’affirmer et à contrôler davantage sa destinée, bien que la surconsommation d’alcool ne soit pas toujours chose rare, et que le couple qu’elle forme avec Brad, son mari et le père de son enfant, parte à vau-l’eau. Dans ce chaos intermittent se nouent des collaborations étroites, se tissent des amitiés sincères. Après un avortement, Martha donne naissance à un deuxième garçon. Puis une séparation orageuse la prive de ses fils une semaine sur deux, ce qu’elle reconnaît comme la plus grande épreuve qu’elle ait vécue à ce jour. Enfin, elle rencontre Nico, un amour bienveillant qui la ramène vers la lumière. Par-dessus tout, la musique reste l’axe salvateur qui alimente son instinct de survie.

On ne reproche généralement pas à une autobiographie de parler trop de son sujet. Cependant, il y a dans celle de Martha Wainwright une tendance à raconter à partir de soi qui relève davantage du journal intime que de l’œuvre littéraire. L’écriture d’un livre peut faire office d’exutoire pour un·e auteur·rice, mais elle ne doit pas être reçue ainsi par les lecteur·rices, car on passe alors à côté de l’essence du projet, qui se rapproche plutôt du témoignage. Le fil narratif se déroule sans véritable dimension esthétique ou formelle: il accorde aux mots un rôle informatif éloigné d’une plume plus lyrique. Néanmoins, une grande authenticité émane de cet ouvrage. Pour cette raison, il demeure un exercice digne d’intérêt.

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Martha Wainright
Traduit de l'anglais (Canada) par Fanny Britt
Montréal, Québec Amérique
2022, 288 p., 29.95 $