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Fenêtres sur ville

Je ne commencerai pas par le classique: «Tout le monde connaît Patrick Senécal.» Vous me rétorquerez: «Mais tu viens de le faire!» Justement.

Littératures de l'imaginaire

Je ne commencerai pas par le classique: «Tout le monde connaît Patrick Senécal.» Vous me rétorquerez: «Mais tu viens de le faire!» Justement.

Résonances, le plus récent roman de l’écrivain acclamé, est sans contredit l’un de ses plus singuliers, avec son jeu sur les niveaux de réalité. Nous sommes ici en territoire «méta», propulsé·es simultanément à l’intérieur du livre et par-delà celui-ci, au cœur d’un chassé-croisé narratif qui se veut un hommage avoué au cinéaste David Lynch. L’ensemble du récit est également une illustration de l’hésitation fantastique à la Tzvetan Todorov: folie, surnaturel expliqué? «Faites-vous partie de l’expérience?» Les pans d’imaginaire et de réel s’enchevêtrent et imbriquent même les lecteur·rices dans un tableau mouvant, dont ils et elles peuvent difficilement s’extraire. Et c’est réussi.

Ce qui est établi

Immersif dès les premières pages, cet ouvrage de Patrick Senécal m’a fait penser à Ceux de là-bas (Alire, 2019), pour le thème de la mort et sa phobie, à Aliss (Alire, 2000), pour son côté éclaté et les mondes qui se chevauchent, et à L’autre reflet (Alire, 2016), pour son personnage principal. En effet, Théodore Moisan est aussi un écrivain qui fréquente les lancements et le milieu littéraire. Écrivain dont on ne saura jamais complètement en quoi consistent les œuvres. Cet aspect fait partie du mystère qui se déploie à la suite de l’imagerie par résonance magnétique de Théodore, au cours de laquelle il éprouve de vives angoisses. Néanmoins, ce n’est pas que de la claustrophobie: le protagoniste voit littéralement une personne grimper sur lui, tandis qu’il est allongé dans l’appareil. Ses soucis débutent après qu’il sort de la machine: il est amnésique, et ses proches se comportent bizarrement. Pire, plusieurs d’entre eux se montrent incapables de réfréner certains penchants. La ville de Montréal devient bientôt un champ de bataille aux relents préapocalyptiques. Théodore constate aussi qu’un tableau mettant à l’avant-plan un édifice pourvu de fenêtres est au centre de l’énigme.

Senécal reprend ici le trope classique du tableau hanté, mais de manière moderne, avec une photographie «qui représent[e] les cinq ou six derniers étages d’un édifice étroit, sous un ciel bleu et sans nuages». Résonances est émaillé de références aux fenêtres et à leur lexique, et d’apparitions éclair de personnages des romans antérieurs de l’écrivain (je suis certaine d’en avoir manqué: elles sont finement intégrées au texte).

Une cité ambiguë

Puisque Résonances investit les capacités de la fiction à dépeindre le réel – avec le grand talent de conteur de Senécal –, j’aurais souhaité que les ellipses qui ponctuent le récit soient plus insolites, que des jeux formels traversent l’ensemble du roman, ce qui aurait été en phase avec le projet. En l’état, les ellipses, plutôt sages dans leur présentation, ne m’ont pas paru assez «méta», pour reprendre le terme mentionné précédemment. Un mot aussi au sujet de la surabondance de points d’exclamation: ils donnent l’impression qu’une réécriture supplémentaire se serait avérée nécessaire:

— C’est épouvantable!
— Je le sais! J’ai pas vu grand-chose, mais… La femme sort son cellulaire.
— J’appelle le 911! (Elle prend son ami par le bras.) Viens, on va aller voir!
— Mets-en! Un suicidé, ça doit être quelque chose!

De plus, la chute m’a semblé précipitée: elle témoigne des compétences incontestables de l’auteur pour décrire des scènes d’action effrénées, mais tout se bouscule dans les dernières pages, comme si Senécal était pressé de terminer son intrigue. Le contenu de cet excipit – qui m’a beaucoup plu – ne ravira pas forcément tous·tes les lecteur·rices. Et c’est tant mieux! Dans Écriture: mémoires d’un métier (2001; 2000 pour l’édition originale), Stephen King écrit avec justesse que «même au bout de mille pages, nous n’avons pas envie de quitter l’univers créé pour nous par l’auteur ni les personnages pourtant inventés qui le peuplent. Et s’il y avait deux mille pages, vous n’auriez pas envie de les quitter non plus.» Autrement dit, les chutes des récits sont parfois décevantes, car l’histoire se termine, et nous renonçons, en refermant le livre, au plaisir ressenti pendant l’expérience de lecture. Conséquemment, sortir d’un univers peut «être frustrant» et donner l’impression que c’est la conclusion qui nous a dépité·es, alors qu’il peut s’agir tout simplement de la fin de l’aventure narrative.

Patrick Senécal, l’un des auteurs les plus salués du Québec, propose avec Résonances une œuvre expérimentale, étonnante, captivante et métaphysique. De quoi redouter que notre réalité s’esquive, et que de sibyllines photos encadrées de fenêtres – presque toujours les mêmes – commencent à apparaître dans des lieux distincts…

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Patrick Sénécal
Lévis, Alire
2022, 340 p., 32.95 $