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Exulter son délire

Si on était rassemble les délires fantasques de Marie et Nathalie, deux héroïnes à l’amitié inébranlable.

Bande dessinée

Si on était rassemble les délires fantasques de Marie et Nathalie, deux héroïnes à l’amitié inébranlable.

Si on était…
des superhéroïnes?
des scientifiques?
magiques?
dans l’univers d’Harry Potter?
dans un manga?

Autant de questions inutiles et ludiques auxquelles Marie et Nathalie fabulent des réponses aussi originales qu’extravagantes. Il faut savoir qu’elles s’avèrent expertes dans l’art de la palabre, et que ces jacasseuses professionnelles n’ont pas peur du ridicule, tant s’en faut. Entre deux cours, avant que le film commence, en fin d’après-midi: tous les moments sont bons pour se lancer dans une partie de «Si on était», jeu dédié à se projeter dans des réalités diverses, souvent invraisemblables, mais généralement amusantes quand on sait s’y prendre (ce à quoi tendent les protagonistes de la série).

D’abord diffusé en chroniques dans la revue Curium, Si on était existe maintenant sous la forme d’un album publié chez l’éditeur Front Froid. Le public déjà conquis par les aventures (imaginaires ou réelles) des héroïnes comme les néophytes (dont je faisais partie) pourront trouver leur compte dans la plus récente série de la prolifique et consciencieuse Axelle Lenoir (L’esprit du camp, French Kiss 1986.). L’autrice a effectué de nombreux ajouts pour la sortie de l’album (qui se voit augmenté d’une trentaine de pages!). Le peaufinage de cette proposition et de ses personnages donne un récit qui se réinvente au fur et à mesure qu’il progresse. Loin d’une succession de chroniques déjà parues, ce premier tome de Si on était propulse ses lecteurs dans un univers disjoncté auquel il est difficile de résister.

Gâter son adolescente intérieure

Dédié à un public d’adolescent.e.s et de jeunes adultes, Si on était parvient à trouver le ton juste pour concevoir un divertissement intelligent, qui répond aux enjeux de représentation de la diversité. Parce qu’on est en 2019 (n’est-ce pas?), le traitement des thèmes propre à l’adolescence est mené avec une ouverture qui permet d’approcher ces questions sans lourdeur. Les héroïnes créées par Lenoir ont en commun d’être entières et de s’éloigner des clichés; Marie et Nathalie n’y échappent pas. À l’instar du récent film Booksmart (Olivia Wilde, 2019), Si on était met l’humour à profit pour renouveler des codes souvent liés à des stéréotypes dans les œuvres mettant en scène des adolescents. Ainsi, les lecteurs sont plutôt confrontés à ce qui rassemble et unit dans l’expérience de l’amitié et des premières amours (sous toutes ses possibilités). Et plus encore que les apprentissages dans lesquels on peut tout un chacun se retrouver, il y a dans le ton de la narration un hommage à la candeur typique de cette période de sortie de l’enfance. Entre éclats passionnés, niaiseries et baveries assumées, la fougue adolescente des héroïnes est soulignée avec tendresse.

«Les novices tomberont rapidement dans le piège de la facilité et la répétition»

Axelle Lenoir n’en est pas à ses premières armes; elle se rapproche probablement plus de la vétérane. Son travail laisse généralement transparaître une recherche et un renouvellement dans l’écriture, tout en conservant son identité artistique: Si on était n’y fait pas exception. Un peu à la manière de la série Les nombrils où, à mesure que les tomes se succèdent, on assiste au développement des personnages et de leurs intrigues respectives, Axelle Lenoir n’hésite pas à injecter (dès le premier tome!) des nuances narratives qui influencent la construction de ses protagonistes. Sans jamais délaisser un ton humoristique ou renier leur appartenance à la culture populaire, Lenoir montre peu à peu Marie et Nathalie sous des angles plus fins, laissant entrevoir une plus grande profondeur psychologique. Entre listes, entrées de journal intime, et autres changements brusques de supports de la narration, celle-ci est constamment dynamisée sans que l’on perde le fil des péripéties. De concert, la narration et le style du dessin varient et détournent le récit des mécaniques répétitives de certains types de fictions auxquelles il rend hommage, notamment les comics strips ou encore les sit-coms. Malgré l’objectif évident (et fort respectable) de divertir intelligemment son public, il semble qu’Axelle Lenoir n’ait pas pu s’empêcher de faire (élégamment) quelques clins d’œil métadiscursifs dans l’écriture de sa série.

Certainement, la série saura rejoindre efficacement un lectorat d’adolescent.e.s et de jeunes adultes par son enthousiasme décomplexé, voire décomplexant. Axelle Lenoir navigue habilement sur différents codes populaires sans y reconduire le manque de diversité et autres préjugés plates, mais sans jamais perdre une once de fun. Dédié à «tous ceux et celles qui embrassent leurs différences», Si on était est un heureux appel à user de son imagination pour renverser nos perspectives, puisque c’est dans le trivial que peut se jouer l’essentiel. ♦

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Axelle Lenoir
Montréal, Front Froid
2019, 80 p., 21.95 $