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Entre lanternes et latences

Après plus d’une dizaine de romans et de livres de poésie, le prolifique Mathieu Blais fait paraître Les choses réelles, son premier recueil de nouvelles.

Littératures de l'imaginaire

Après plus d’une dizaine de romans et de livres de poésie, le prolifique Mathieu Blais fait paraître Les choses réelles, son premier recueil de nouvelles.

Il ne s’agit toutefois pas que de nouvelles, mais également de poèmes, amalgame trop rare que j’aimerais retrouver plus souvent. Fictions brèves et textes poétiques s’unissent au sein des Choses réelles comme autant de lanternes allumées pour attirer les insectes dans les ténèbres. L’ouvrage embrasse du même «souffle-livre» une pléthore de genres, du fantastique au noir, en passant par l’absurde et la science-fiction.

L’œuvre est à l’image d’un vaste banquet autour duquel papillonnent les convives. En effet, Les choses réelles aborde tant de manières que j’avais l’impression, en le lisant, d’avoir entre les mains tous les textes courts publiés et inédits de Mathieu Blais réunis sous une même couverture. Une sélection plus rigoureuse aurait permis au livre de courtiser davantage l’éther. D’ailleurs, le titre, plat et vague, représente bien cet assemblage trop disparate. Un intitulé frappant aurait contribué à rendre l’ensemble plus harmonieux et à faire en sorte que le tout dépasse la somme des parties. L’auteur aurait pu puiser dans plusieurs des superbes titres de ses nouvelles, comme «La rotation des peaux», «L’axe libre du carrousel» ou «L’habitude des paysages». Son talent poétique, véritable invitation à fréquenter les cimes de l’enchantement, y est perceptible.

Écrire les falaises

Il y a sans contredit du réussi dans Les choses réelles, de ces nouvelles qui coupent le souffle tant elles envoûtent, aimantent. Aux premières loges: «Une part de risque», histoire de science-fiction dans laquelle Ayaka Nakamura a découvert les points Humiyaze, des «espaces que les intelligences artificielles avaient déterminés comme étant des lieux où la mortalité était prévisible avec près de 98% de certitude». Ainsi, une pièce au centre d’un appartement possédant un point Humiyaze peut être cadenassée, à l’instar de portions de parcs, d’autoroutes, de montagnes… Ce texte témoigne de l’inventivité de Blais, à son summum dans «Quelque part au-dessus de nous», nouvelle dans laquelle un garçon intimidé s’envole au-dessus d’une foule dans un gymnase. L’écrivain est également au meilleur de sa forme dans l’hypnotique «La rotation des peaux», où l’on échange des épidermes, mues apocalyptiques et essentielles. «L’axe du carrousel» développe une idée à grand potentiel: participer au monde par l’inertie la plus totale et irréversible. Devenir latence, «poésie de l’immanence». Deux autres textes parus dans le périodique Le Sabord – où je suis directrice littéraire – m’ont vivement plu à la relecture, à savoir le fantastique «Transmigration» et le – comment dire? – post-préhistorique «À la limite du monde connu».

Les solitudes minérales

Les récits mentionnés ci-dessus, placés au début du recueil, se déploient avec aisance vers la stratosphère. La seconde moitié du bouquin m’a semblé plus tiède. Je pense notamment à deux textes longuets, «En lutte libre», mise en abyme de l’écrivain, et «Le siège de la soif», incursion dans l’absurde dont l’humour ne m’a pas convaincue.

Blais possède un éventail littéraire conséquent, son érudition et sa minutie sont constantes. La demi-douzaine d’œuvres poétiques au sommaire des Choses réelles propose des envolées aussi justes qu’affûtées: «la nuit se porte comme un foulard/une corde qui servira à nous pendre». L’émerveillement de l’intellect traverse l’ensemble du livre, tant la prose que la poésie. Plusieurs thèmes sont des leitmotivs habiles: la langue, le mouvement, la nature, la décrépitude. Nul doute que l’auteur manie et cisèle le style comme autant d’essaims de symboles. Dommage qu’il n’ait pu résister à cette interminable note de bas de page qui a gâché ma lecture de «Lové dans la pierre», dans laquelle il détaille l’origine de son idée de manière emphatique. Sans ce commentaire qui m’a brusquement extirpée du sensible, cette nouvelle aurait figuré parmi mes favorites. Et pourquoi expliquer la genèse d’un texte spécifique plutôt qu’un autre? Pourquoi ne pas procéder de la même façon pour les vingt-cinq récits et poèmes du livre? Ou éviter complètement les notes de ce type?

La patience du couteau suffira

J’ai refermé Les choses réelles avec un sentiment admiratif… mais aussi une impression d’inachevé. Celle que l’on ressent sans doute à force d’habiter le monde tels les personnages de Blais, d’«existe[r] en souffles courts». De partager avec eux ces instants d’émerveillement, de latence, lorsqu’on érafle les nuages, lanterne en main. Quand on se demande, la bouche entrouverte: «[A]s-tu déjà vu des abeilles voler si haut?»

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Mathieu Blais
Montréal, VLB éditeur
2021, 204 p., 22.95 $