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Ensemble au brasier

Avec Parmi celles qui flambent, Noémie Roy signe un premier recueil époustouflant sur les passages obligés de la peine, de la brûlure jusqu’aux recommencements.

Poésie

Avec Parmi celles qui flambent, Noémie Roy signe un premier recueil époustouflant sur les passages obligés de la peine, de la brûlure jusqu’aux recommencements.

C’est un chemin de cendres qu’on arpente après avoir regardé flamber son cœur, et nombre de poètes en ont raclé les braises pour conjurer le sort ou, à tout le moins, en magnifier l’âpreté. L’entreprise de Noémie Roy aurait donc pu s’avérer banale, surtout pour un premier ouvrage. Or, la voix de l’autrice nous frappe en plein visage dès les vers initiaux par son indéniable pouvoir d’évocation, nous emmenant sur des sentiers inattendus.

Chez Roy, il y a eu et il y aura du feu. Dans une mise en scène éblouissante, la première partie du livre s’ouvre sur un dragon en plein vol. Le ton est donné. Le champ lexical de l’incendie, maîtrisé et inventif, s’étale sur plusieurs poèmes dans lesquels la narratrice demande ce qu’il reste après les drames et les pillages. Le ciel lui-même est remis en question, jusque dans l’écho de la détonation: «ce monde a déserté/le bruit dure encore».

Une affaire de femmes

La dernière année aura été pour plusieurs sous le signe de la sororité, thème que l’écrivaine développe ici sans complaisance ni sensiblerie. Elle exploite l’idée que chaque peine vécue par une femme a été vécue par toutes les autres, multipliant par mille le visage de la poète, comme un kaléidoscope d’humiliations répétées.

la plupart l’éteignent le long des jambes
d’autres portent l’écaille
le vent vicié

chaque fille salue la foule
il faut prétendre à la surface
on aurait dit un trou
dans la stratosphère

Inscrite parmi celles qui flambent, Roy attire vers elle les autres, devenant par sa propre douleur un étrange coryphée moderne. Elle souligne par ailleurs que nous, les femmes, ne sommes jamais conviées à la fête: «notre absence: un pain/partagé autour de la table». C’est ainsi partagé que le feu lui-même change de camp, et que la poète se fait maître à son tour de l’incendie. Un revirement amené avec tant de finesse et d’esprit qu’on voudrait garder pour nous les mots, les enfouir en nous comme des armes.

Entrer dans le terrier magique

Les images de Roy sont nettes et brillantes, tel cet aveu du manque de moyens dans la révolte: «il n’y a que mes cheveux/emmêlés autour de ma torche». C’est d’ailleurs sur cette voie qu’elle nous entraîne, avec une deuxième série de poèmes exploitant avec superbe un univers surréaliste où le corps se fait porte d’entrée sur l’imaginaire. On y retrouve des airs d’Anne Hébert qui aurait traversé le miroir. L’anatomie de la femme devient tour à tour repère, charpente, fleur «à l’eau, épuisée par la tige», gibier.

je farde mon sexe
sa lueur au milieu de l’ombre
ce mammifère huilé survivra-t-il à la honte?

ma fourrure cohabite
avec les braconniers
je suis invisible comme le cartilage

Puis vient un état des lieux du sinistre, qui s’inscrit parfaitement dans l’objet poétique s’étalant sous nos yeux comme un film étrange. Il est désormais temps de secouer les carcasses: «j’ai trois cadavres/attachés à ma cheville/un deuil traîne son village»; «souvent l’avenir tire/sur la hanche des malades». Encore une fois, les blessées se tiennent derrière en un chœur féminin silencieux: «je ne suis pas seule/j’expire les particules/parmi celles qui secouent la suie». L’entre-prise est collective.

La poète, également artiste multidisciplinaire, n’hésite pas à sonder les possibilités de la forme, s’offrant une immense liberté narrative sans jamais nous perdre en chemin. Nous la suivons, émerveillé·es, dans ses traverses («je passe à travers un pore de ma joue/un museau fouille les boisés»), jusqu’à son arrivée dans les bas-fonds, là où tout pourra se réparer dans les creux.

Les débuts inlassables

C’est en rembobinant que Roy ouvre sa dernière série de poèmes, ceux des nouveaux débuts, voués à être encore démontés un jour, car ainsi vont les choses. «Les remous caressent les pieds/répètent leur jeu», puisque tout n’est que recommencements et rodages. Mais qu’importe, car l’aventure n’est jamais vraiment solitaire: elle est toujours portée par mille femmes à la fois. C’en est peut-être l’unique consolation.

même sans amulette
les mortes s’unissent aux vivantes

mains devant, mains derrière
nos bras forment un fil

il y a cent manières d’appartenir
la mienne ressemble au lichen

Un recueil tout en ravissements, et d’une très grande beauté.

Auteur·e·s
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Noémie Roy
Montréal, Les Herbes rouges
2021, 104 p., 19.95 $