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En équilibre

Dans 225 milligrammes de moi, Marie-Sissi Labrèche revient avec un discours intérieur plus mature, mais toujours aussi candide sur des thèmes qui lui sont chers: l’anxiété, la santé mentale et la pauvreté.

Roman

Dans 225 milligrammes de moi, Marie-Sissi Labrèche revient avec un discours intérieur plus mature, mais toujours aussi candide sur des thèmes qui lui sont chers: l’anxiété, la santé mentale et la pauvreté.

Je me souviens encore de l’électrochoc ressenti à la lecture de Borderline (2000) et de La brèche (2002), les deux premiers romans de Marie-Sissi Labrèche parus au Boréal. La plume ingénue, sans tabou ni pudeur, de cette nouvelle autrice représentait la misère et la maladie mentale qui se transmettent de mère en fille, ainsi que les relations de sexe et de pouvoir au sein d’un département universitaire de littérature.

Avec son cinquième livre, 225 milligrammes de moi, qui fait écho à la posologie d’Effexor que prend la narratrice, l’écrivaine raconte la quête de la bonne dose de médicament, certes, mais surtout la quête d’équilibre de celle qui est «née avec une jambe brisée dans le cerveau». Labrèche met en évidence des moments phares de la vie de son alter ego, ses immenses défis et ses petites victoires: «J’ai douze ans et je suis à bout/J’ai vingt-cinq ans et je suis sur l’aide sociale/J’ai quarante-huit ans et je vis en banlieue».

Labrèche maîtrise encore ce «je» puissant, paradoxalement décomplexé et plein de jugements envers lui-même:

Je suis juste une crisse de folle, mais même là, dans ma folie, j’arrive à être poche. Je ne suis pas aussi folle que ma schizophrène de mère, elle me bat à plate couture avec tous ses internements et ses crises devant public. Je suis perdue dans ma personnalité. Ma psy me l’a dit, je suis borderline. Juste ça. Je ne suis même pas assez folle pour être enfermée.

Si l’écriture peut paraître simpliste, il n’en est rien. Se dépouiller de ce qui parasite le regard que l’on pose sur soi-même n’est pas une mince affaire. D’ailleurs, il se produit quelque chose de beau sous ce style complètement imperméable à la vanité. De ce discours intérieur qui nomme tant de faiblesses émerge une force, celle d’une femme qui fait face au monde extérieur sans chercher à dissimuler ses difficultés. Les gens les plus dangereux sont sans doute ceux qui avancent en faisant fi de leur vulnérabilité et de leurs démons. Labrèche et sa narratrice sont tout le contraire.

Maternité et maturité

Si le roman propose une autre perspective sur la genèse des enjeux de personnalité et de santé mentale, il offre aussi un regard touchant sur une mère qui met tout en branle pour que la transmission de l’anxiété ne se perpétue pas jusqu’à son fils. Il y a une forme d’attendrissement dans les réflexes anxieux – qui font parfois penser à la période de l’enfance – et les soins parentaux. Avec des images frappantes, l’autrice donne à lire une expérience singulière de la maternité:

Je suis vigilante. Je l’ai toujours été. C’est qu’on m’y a obligée très tôt. En sortant du ventre de ma mère. Fallait bien quelqu’un pour guetter les monstres et les sorcières qui s’échappaient de sa tête. Alors je guette.

La narratrice lutte contre ses pensées intrusives pour rassurer son fils. Elle domine ses démons, au contraire de sa mère, qui n’a pas pu le faire pour sa fille: «Les lèvres de Nemo sont blanches. Je panique, mais je ne veux pas le lui montrer. Je dois être forte et rassurante pour lui. Mes inquiétudes débordent de partout.»

Écriture salvatrice

Incursion à la fois dramatique et comique dans un esprit dysfonctionnel, mais néanmoins capable de grandes et belles choses, 225 milligrammes de moi met aussi en lumière l’écriture comme une magnifique béquille. Alors que la jeune adulte avait peur de la médication («Je dois être une romantique parce que j’ai peur qu’en prenant des antidépresseurs, ça se mette à aller trop bien dans ma tête et que je ne sois plus capable d’écrire»), la quarantenaire accepte qu’elle en a besoin, tout en refusant que sa dose quotidienne amortisse son esprit: «Et puis j’écris, j’ai besoin de ma tête, j’ai besoin d’être connectée à mes émotions le plus possible, même si tout me rentre dedans avec la force d’un camion-citerne. J’écris.» Elle écrit et, en le faisant, ce n’est pas uniquement à elle qu’elle fait du bien. Sa prose nerveuse s’avère salvatrice.

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Marie-Sissi Labrèche
Montréal, Leméac
2021, 114 p., 18.95 $