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Dure réalité

Deuxième album de bédé reportage issu de la collaboration entre les maisons d’édition La Pastèque et Atelier 10, Se battre contre les murs s’avère un livre informatif, mais sans relief.

Bande dessinée

Deuxième album de bédé reportage issu de la collaboration entre les maisons d’édition La Pastèque et Atelier 10, Se battre contre les murs s’avère un livre informatif, mais sans relief.

Après le très réussi Faire campagne (Atelier 10 et La Pastèque, 2018), qui traite de l’état de l’agriculture au Québec, c’est dans un univers complètement différent que se déroule l’action de Se battre contre les murs. Dans le cadre de ses recherches sur les populations jugées déviantes ou non conformes, le sociologue Nicolas Sallée s’intéresse depuis 2014 au Centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation de la Cité-des-Prairies. À deux occasions, il s’est rendu pendant plusieurs jours avec des collègues pour observer le fonctionnement du centre et mener des entrevues avec des éducateur·rices et des jeunes. Le portrait qu’il en tire est nuancé, mais sans éclat ni passion.

Impitoyable

Les premières planches de l’album présentent Marianne, éducatrice. Elle explique en quoi consiste son travail, et ce qu’est la garde fermée, l’unité qui accueille des contrevenant·es en attente de leur jugement ou de leur condamnation. Ces pages annoncent bien le reste du livre: plusieurs passages sont consacrés à des monologues de différent·es intervenant·es de Cité-des-Prairies, dont des employé·es. Malheureusement, j’ai eu la désagréable impression de lire un rapport de recherche illustré et non une véritable bande dessinée. Quelques dialogues sont tirés de vraies entrevues réalisées sur place, mais le réel se mélange parfois mal à des entretiens qui semblent trop «scénarisés». J’ai souvent décroché de ma lecture, un peu comme un·e étudiant·e qui se plonge dans un ouvrage obligatoire et qui, tout en comprenant son importance, se demande sans cesse ce qu’il ou elle doit en retenir.

Pourtant, le sujet ne manque pas d’intérêt, et le scénariste expose intelligemment les visions conflictuelles des éducateur·rices. Entre prison et centre fermé, la frontière n’est pas toujours facile à cerner. L’historique de la création de l’établissement est fort pertinent: on perçoit bien l’évolution des mentalités. Mais là encore, le cours d’histoire 101 sur la criminalité juvénile n’est jamais bien loin. Certaines questions liées à la délinquance, à l’encadrement des jeunes et à l’aide qu’on leur apporte devraient se transformer en véritables débats de société. Est-ce que ce genre de centre s’impose encore comme la meilleure solution? Est-ce que les éducateur·rices qui y travaillent disposent du soutien nécessaire et des outils adéquats pour changer la trajectoire des jeunes que le tribunal leur confie? Les nombreuses interrogations que laisse en suspens Sallée pourraient être prises en considération et faire réfléchir les lecteur·rices. Or, on a la vilaine impression d’être à l’extérieur du problème et de ne pas se sentir impliqué dans la vie de tous ces gens.

Sentir l’effort

Les dessins ont été réalisés par Alexandra Dion-Fortin, qui est en à ses premières armes en bande dessinée. Les planches aérées, les cases inexistantes ainsi que le noir et le blanc créent un relativement bel ensemble. Les décors sont parfois soignés, alors qu’à la planche suivante, ils semblent avoir été exécutés en catastrophe. Par ailleurs, l’illustratrice se retrouve souvent prisonnière d’une foule de monologues, ce qui l’oblige à montrer seulement la tête d’un protagoniste, entourée d’un trop grand nombre de bulles. Ces passages dépourvus d’arrière-plan soulignent à gros traits l’importance du propos véhiculé.

Le problème majeur du dessin réside dans les visages des personnages: ils ont presque toujours un sourcil plus haut que l’autre! Fâchés, souriants, suspicieux, surpris: tous ont le sourcil relevé. De plus, plusieurs planches manquent de rythme: on sent l’effort de Dion-Fortin pour varier les plans et les points de vue, un peu comme si elle avait suivi à la lettre le guide «Comment faire de la bande dessinée», mais elle n’est pas arrivée à se forger un style personnel. Pourtant, la dessinatrice a visiblement du talent. Le sujet lui a semblé peut-être trop sérieux pour explorer de nouvelles avenues. Cette retenue donne la mauvaise impression qu’on lit une œuvre sans relief éditée par un ministère quelconque.

La réunion de la bande dessinée et du reportage engendre généralement d’extraordinaires albums, avec une vision propre qui incite les lecteur·rices à réfléchir. La seule interrogation que suscite Se battre contre les murs est la suivante: qu’est-ce que Nicolas Sallée et Alexandra Dion-Fortin ont cherché à dire?

Auteur·e·s
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Article au format PDF
Nicolas Sallée, Alexandra Dion-Fortin
Montréal, Atelier 10 et La Pastèque
2021, 176 p., 29.95 $