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Déviante

L’avion est un réflexe court de Catherine Cormier-Larose est de ces livres que l’on n’attend plus.

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Poésie

L’avion est un réflexe court de Catherine Cormier-Larose est de ces livres que l’on n’attend plus.

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Quiconque fréquente les scènes montréalaises de poésie (et, incidemment, trifluviennes, mais aussi celles d’un peu partout au Québec) depuis une décennie aura sans aucun doute rencontré Catherine Cormier-Larose. En permettant, souvent à bout de bras, l’émergence et le développement de la poésie québécoise sur scène — à l’instar de quelques rares animateurs poétiques à la longévité similaire, dont André Marceau (Tremplin d’actualisation de poésie), Éric Roger (Solovox) et Ian Ferrier (Words & Music) —, Cormier-Larose a directement contribué à l’engouement qu’on perçoit actuellement pour la poésie orale et performée.

Or, foncièrement associée à toutes les activités de diffusion qu’elle conçoit et anime (dont son festival annuel Dans ta tête) au point qu’on a pu confondre son œuvre personnelle avec celles-là, Cormier-Larose passe près d’être cannibalisée par la visibilité et la parole qu’elle offre aux autres. Le peu d’échos médiatiques de son premier recueil, pourtant attendu depuis des lustres — mais ce sont encore ceux des autres qui sont passés avant le sien —, l’aura tristement confirmé; une aberration que j’entends ici corriger.

Lorsque tout le monde a été applaudi à la fin d’un spectacle, c’est le rôle d’un ami que de monter sur scène pour demander qu’on salue le travail de l’animatrice, dont la présence sous les projecteurs lui crée paradoxalement de l’ombre. Même dans ces pages de LQ, je suis d’abord cet ami, compagnon d’armes de Catherine depuis mes premières performances de poésie... réalisées à son invitation.

C’est, de toute façon, sur le mode de la proximité que se joue fondamentalement la poésie de Cormier-Larose. Partout dans le livre, en effet, ses poèmes relatent des expériences du monde vécues au plus près du corps, lesquelles laissent forcément des traces:

on s’est placées du côté gauche du stage
au cœur du mushpit
pour le lendemain être bien certaines d’avoir des bleus partout
des bleus à montrer
pis des paroles
avec lesquelles se chauffer les mains

Ces marques n’y sont pas tant une parade de blessures que les pièces à conviction d’une opération anarchique de dérangement, tatouages-témoignages de vies alternatives, éclatées au sens fort. Même dans sa dimension intime, le recueil présente un sujet allié à une sororité marginalisée, à un clan de bêtes qui exsudent la révolte: «la seule chose qui suinte de nous autres c’est la chienne//on s’en vient avec un bestiaire pas pire/presque une armée».

La poète semble tenir l’immobilité, la stabilité et le bon fonctionnement des choses en horreur. Les grandes surfaces, les stations-services, les gares sont ainsi inévitablement prises pour ennemies, investies comme des espaces à vandaliser, piller et subvertir. Lorsque «le char part pas/on s’en sert comme d’un hôtel», propose la poète comme nouveau proverbe punk. Réflexe court, court-circuit, circuit fermé: tant que l’impulsion produit du mouvement, du nouveau.

L’autoroute en particulier est une image récurrente du recueil, pour son potentiel spectaculaire d’un accident toujours envisageable. Toujours ce besoin d’intensité, de «savoir encore arriver à la jouissance avec tous ses morceaux» qui se manifeste à travers des pulsions certes destructrices, mais résolument tournées vers l’expérience du vivant. Plus encore, les poèmes de Cormier-Larose s’obstinent à vouloir créer du sens et se refusent au nihilisme. Si «on n’a pas laissé de trace/sur les contours broche à foin de notre époque», la poète s’emploie à étamper, comme on étampe sa main sur une sale gueule, sa langue sur le monde — emphatiquement, aveuglément: «j’exagère tout/je retrace nos phrases, j’en fais des emporte-pièces que j’enfonce dans chaque surface un peu molle pour faire semblant que c’était là avant//c’était là avant».

Dès lors, on ne s’étonnera pas que la langue de Cormier-Larose soit passablement bâtarde, voire infirme par moments, d’une oralité pourtant à des lieues de celle que l’on retrouve beaucoup en jeune poésie actuelle: il s’agit moins d’un lexique trash que d’une syntaxe contaminée par le ravaudage et le bâclage ambiants. Ainsi, au sujet d’une colline bien seule dans le Midwest canadien, Garbage Hill, elle observera: «y’ont rien que planté des arbres dessus». Quand c’est mal fait, faut que ça se dise mal.

Truffé de passages saisissants, d’images knock-outantes, de phrases inoubliables comme autant d’épitaphes, L’avion est un réflexe court est aussi cet aveu d’une vie agitée jusque dans l’intimité domestique, où les bêtes sauvages veillent et «connaissent déjà mon nom et mes habitudes». On l’aura compris, cette manière d’être dispersée, en morceaux et en chavirement constant, ne se rameute pas à la maison si aisément, surtout «dans sa maison toujours en feu». Cette demeure instable, microcosme ouvert d’une vie entière consacrée au mouvement et à la parole libre, est remarquablement lotie dans les pages du recueil, que le lecteur tournera comme animé d’un grand vent fou qui attise.

«[P]ersonne peut habiter ici», nous dit encore Cormier-Larose, mais qui parle de se reposer? Le repos, c’est pour quand il n’y a plus rien à déranger. ♦

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Sébastien Dulude
Montréal, Del Busso
2018, 82 p., 14.95 $