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Des lendemains féconds

Dans Coco et Sissi, ses deux premières pièces, Nathalie Doummar aborde le désir, l’amour, la famille et l’amitié selon une perspective féministe galvanisante, tout en faisant preuve d’un humour irrésistible et en exprimant une profonde soif de changement.

Théâtre

Dans Coco et Sissi, ses deux premières pièces, Nathalie Doummar aborde le désir, l’amour, la famille et l’amitié selon une perspective féministe galvanisante, tout en faisant preuve d’un humour irrésistible et en exprimant une profonde soif de changement.

Après Kink (2019), de Frédéric Sasseville-Painchaud et Pascale St-Onge, et Guérilla de l’ordinaire (2019), de Marie-Ève Milot et Marie-Claude St-Laurent, c’est au tour des textes Coco et Sissi d’être publiés en un volume dans «LA NEF». Codirigée par Marie-Claude St-Laurent, Marie-Claude Garneau et Marie-Ève Milot, la nouvelle collection des éditions du Remue-ménage, peut-on lire sur le site de la maison, «met de l’avant les dramaturgies féministes contemporaines et les fait résonner avec leurs prédécesseures».

L’imperfection devient reine

La création de Coco a eu lieu en 2016, à La Petite Licorne, dans une mise en scène de Mathieu Quesnel. À la manière de Table rase (Dramaturges éditeurs, 2017), la pièce de Catherine Chabot qui a vu le jour à la même époque, la comédie dramatique réunit quatre jeunes femmes dans une maison de campagne un mois après la mort de Coco, leur amie d’enfance. Elles sont à l’aube de la trentaine, mais il leur arrive également, grâce à de judicieux retours en arrière, d’avoir dix ou quinze ans de moins. Leurs échanges aigres-doux, souvent animés, d’une franchise désarmante, portent notamment sur l’amour, l’amitié, le corps, la sexualité et la maternité.

La création de Sissi a eu lieu en 2019, toujours à La Petite Licorne, dans une mise en scène de Marie-Ève Milot. Romy, que ses proches appellent Sissi, en référence à Romy Schneider (qui fut révélée au grand écran dans le rôle de l’impératrice d’Autriche), est mariée à Pete. Tous deux d’origine égyptienne, ils sont les parents d’un garçon de quatre ans qu’ils ont adopté. Alors qu’elle a tout pour être heureuse, Sissi est convaincue d’être incompétente. Lorsqu’elle rencontre Marilyne et Jérémie, qui ont également adopté un enfant et qu’elle considère comme de «vrais Québécois», la pièce prend une tournure désopilante, pour ne pas dire vaudevillesque. Elle fait aussi réfléchir à des enjeux comme la vie en société et les difficultés au sein du couple.

En guise de contrepoint aux dialogues souvent cinglants, Doummar a imaginé un espace intemporel, le «No Land», dans lequel des apartés entraînent les lecteur·rices dans la psyché des protagonistes. Dans Coco, c’est «un accès aux pensées et aux obsessions de certains personnages». Ce non-lieu accueille des confidences impudiques sur des sujets tels que la sexualité compulsive, l’homosexualité refoulée et l’asexualité. Dans Sissi, le «No Land», intrinsèquement lié à la mise en scène, offre un accès muet, autrement dit visuel, «à l’inconscient et aux désirs de l’héroïne».

Un lieu où se rencontrer

Toutes deux incarnées sur scène par Doummar, Coco et Sissi sont des héroïnes captivantes aux préoccupations semblables. La première, avant de mourir dans la fleur de l’âge, adresse des lettres poignantes à une enfant qui ne naîtra jamais:

Personne ne pourra te tailler. Ton existence entière t’appartiendra et tu ne t’éteindras pas dans le parcours d’un être inventé que tu n’es pas. Ce sera si aisé pour toi d’être libre, ma fille.

La seconde souhaite être la meilleure mère, conjointe, amie et citoyenne: «Fait que je vais inventer une nouvelle façon d’être une mère, d’être une famille, et d’être une amoureuse. Comme ça, plus de déchirements, plus de culpabilité, plus de larmes! […] Je vais sauver les familles nucléaires!» À vrai dire, tous les personnages sont irrésistibles. Capables autant de mauvaise foi que de bienveillance, incohérents et vulnérables, ils flirtent souvent avec la caricature sans jamais y sombrer.

Selon Caroline Dawson, dont le «texte-pont» éclairant et senti a été placé entre les deux pièces, Doummar exprime à travers ses protagonistes un désir d’appartenance qui ne tient pas du tout du conformisme: «Si elle secoue les épouvantails qui nous servent de normes collectives, c’est pour mieux montrer que son vœu le plus cher demeure, à chaque fois, de trouver des semblables avec qui créer un lieu où réellement se rencontrer.» C’est bien là que réside la portée féministe de Coco et Sissi: dans cet appel à la rencontre et à la sororité. «Nathalie Doummar l’a bien compris, écrit Dawson, la seule façon de nous élever […] [est] de se confronter au regard des autres femmes, de provoquer les vérités entre nous, de prendre le temps de se rencontrer, si nous sommes chanceuses, de trouver des sœurs.» Elle conclut: «[C]’est l’amitié féminine qui sera à même d’enfanter, chez nous toutes, des lendemains féconds.»

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Nathalie Doummar
Montréal, Remue-ménage
2020, 272 p., 24.95 $