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Comment Claude Gauvreau m’a tué

Chronique délinquante

Je ne me souviens pas de mon premier spectacle, de ce jour où j’ai vu des femmes et des hommes jouer un rôle pour la première fois. C’était certainement au couvent Maria-Goretti de La Doré, le seul lieu où l’on présentait ce genre d’événement. Dans mon enfance, il y avait régulièrement des soirées de musique, de chants, avec des conteurs et de courtes saynètes qui mobilisaient une dizaine de volontaires. La salle du couvent pouvait contenir environ deux cents personnes. C’était toujours plein à craquer. J’adorais. Pas question de rater l’un de ces spectacles même si je devais y laisser un gros vingt-cinq sous à l’entrée.

Le vrai théâtre, c’est à la télévision que je l’ai découvert, avec Les Beaux Dimanches de Radio-Canada. Je faisais tout pour regarder cette émission même si mon père et ma mère maugréaient, surtout quand on présentait une comédie de Molière ou un drame de Shakespeare. Pourtant, ils ne rataient jamais un épisode des Belles Histoires des pays d’en haut, des Plouffe ou encore du Survenant. Moi non plus.

Je me souviens de Louise Marleau, Jean Gascon, Lionel Villeneuve, Monique Miller, Albert Milaire, Ginette Letondal, Jean Duceppe et Catherine Bégin. Certaines scènes sont toujours présentes dans ma mémoire. Comment oublier Des souris et des hommes de John Steinbeck avec Hubert Loiselle? Jacques Godin y était magnifique et touchant. J’en avais versé des larmes.

Culture

La télévision se souciait de culture alors et n’était pas encore obsédée par les rires et l’humour gras. La direction osait présenter des spectacles qui m’ont permis de découvrir un autre univers. C’est devant un écran en noir et blanc, la plupart du temps tout à fait blanc, que j’ai vu et écouté pour la première fois un orchestre symphonique. Je n’avais jamais pensé qu’une telle musique existait. La radio de CHRL-Roberval ne faisait entendre que Les Jérolas, Oscar Thiffault et Ovila Légaré. Ma vision de la musique a été jetée par terre après ce concert de la Symphonie pastorale de Beethoven, par ces dizaines de virtuoses qui jouaient tous en même temps. Je me souviens aussi de Yoland Guérard qui était une vedette alors. Je ne sais pourquoi mon père pognait les nerfs chaque fois qu’il voyait le chanteur à la télévision. Il n’avait pas assez de qualificatifs pour l’apostropher. Faut dire qu’il n’aimait pas les grandes voix. Je n’avais qu’à syntoniser l’opéra à la radio pour le faire hurler. Il consentait pourtant à écouter Tino Rossi avec un sourire, pour me montrer qu’il pouvait aussi être tolérant.

Théâtre

Le vrai théâtre, je l’ai vécu à Saint-Félicien, à l’école secondaire Pie-XII. Là, c’était quasi professionnel avec Jean-Joseph Tremblay, mon professeur de français. Nous avons décortiqué des textes qu’il fallait apprendre et jouer sans avoir l’air de jouer. Je me souviens de La farce de Maître Patelin où je tenais le premier rôle et de Sonnez les matines de Félix Leclerc. La magie des maquillages, la concentration et les répétitions. J’avais surtout réussi l’exploit de convaincre ma mère d’être ma costumière. Elle m’avait confectionné une grande cape noire qui m’allait parfaitement, comme la nouvelle soutane sur le dos de notre vicaire. Je faisais un Maître Pathelin impressionnant, qui ne ménageait pas les effets de manche. Rapidement, je suis devenu metteur en scène et je me souviens d’avoir dirigé des comédiens dans un texte de Claude Jasmin. Une courte histoire qu’il avait écrite pour les Jeunesses catholiques de l’époque. Je ne pense pas qu’il ait gardé ce titre dans son curriculum vitæ.

Première

C’est aussi grâce au théâtre que j’ai écrit un texte avec un début, un milieu et une fin. J’avais fait des essais avant, mais mes histoires trébuchaient après deux ou trois soubresauts. Je jonglais avec la poésie, louchais vers le roman, mais toutes mes tentatives échouaient. Je m’essoufflais rapidement et perdais les pédales. Mon premier texte soutenu avait quarante et une pages, un titre foudroyant: Moins vingt. J’avais dix-sept ans. J’ai fouillé et retrouvé une copie tapée sur ma petite Underwood de l’époque, une machine que mon frère Raymond m’avait payée. Je lis la première réplique de cette pièce et me demande si j’ai cessé de me poser cette question:

— On existe! On végète! Vivre pour vivre, c’est notre devise. Moi, je n’en peux plus. J’étouffe. Je meurs.

Hésitation

Longtemps, j’ai hésité entre le Conservatoire d’art dramatique et la littérature à l’université. J’ai finalement bifurqué vers les écrivains parce que ma timidité a été la plus forte. Je crois que j’aurais fait un infarctus rien qu’à penser ouvrir la bouche devant des garçons et des filles inconnus. J’ai opté pour le rôle discret de l’étudiant, de celui qui ne parlait à personne et qui ne posait jamais une question pendant les cours.

Je devais me priver de nouveaux livres et sauter un repas pour avoir de quoi acheter un billet de théâtre, vivre intensément l’histoire sur scène. Je me rappelle Des grands soleils de Jacques Ferron et surtout Des oranges sont vertes de Claude Gauvreau. À la fin, quand les comédiens se tournaient vers la salle et ouvraient le feu sur nous, les spectateurs, j’étais mort. Claude Gauvreau m’a tué.

Et la littérature, tous genres confondus, n’est peut-être qu’une vaste scène où un auteur tente de convaincre un lecteur qui s’approche avec le sourire ou qui s’éloigne en haussant les épaules. ♦

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