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Chagrins d'amour

Traduction

Les seize nouvelles du recueil de Megan Gail Coles, Les habitudes alimentaires des mal-aimés, parlent d’amour. Mais pas d’amour fleur bleue, loin de là. La fleur qui s’épanouit, ou qui se fane ici, est plutôt rouge comme le sang, grise comme un jour de novembre, noire comme la mort.

Qui sont les mal-aimés? Ils s’appellent Leanne, Damon, Margie, Garry, Sadie. La plupart sont des Terre-Neuviens, souvent jeunes, souvent pauvres, souvent exilés, à Montréal (où l’un rase et teint des chats dans un salon de toilettage, où un autre trie des membres humains dans le frigo de l’école de médecine de l’Université McGill), à Toronto ou en Alberta, en Thaïlande (où l’une tente de se remettre du naufrage d’un désastreux mariage) ou en Corée (où un couple enseigne l’anglais aux enfants). Quand ils ne sont pas exilés, c’est qu’ils passent une semaine de vacances à Tulum ou à Cuba. Ils viennent de se séparer, de se faire plaquer, ou bien ils sont sur le point de rompre avec la personne qui les bafoue, qu’ils ont cessé d’aimer. Déstabilisés, complètement déboussolés. Ils en arrachent, comme on dit.

Sauf une famille de Russes, un Africain et une Haïtienne — des exilés — qui font l’objet d’une seule nouvelle, les Terre-Neuviens du recueil reviennent d’un texte à l’autre, à des moments différents de leur vie. Ainsi Leanne, la protagoniste éplorée de «Il y a des larmes dans ma noix de coco», en Thaïlande dans la première nouvelle, est la femme de Trevor, un comédien homosexuel qu’on retrouve à Stratford dans «Les ultimatums poussent tout seuls ici» alors qu’il tombe amoureux, sans espoir, d’un autre acteur. Ellen, sur le point d’être abandonnée par Bruce en Corée («Un évier conçu pour du monde moins grand»), fait la connaissance de Leon, un Anglais qui avait «suivi une fille à Toronto» dans «Certains mots ont meilleur goût que d’autres». Et désormais mariée avec lui et enceinte dans «Traction intégrale pour fille célibataire», elle accompagne au Mexique sa cousine Kim, atteinte d’un cancer du sein. Sadie, qu’on a connue enfant dans «Les cadres et les plantes vertes», est une adulte, sur le point de quitter Shawn qui la méprise et d’aller enseigner l’anglais langue seconde en Géorgie dans «Des robes de fille d’honneur plein la penderie». On dirait une grande famille de déracinés dont on a chaque fois plaisir à reconnaître les membres au fil de la lecture.

Leurs habitudes alimentaires

Les allusions aux habitudes alimentaires, qui donnent son titre au recueil, sont omniprésentes, elles définissent en quelque sorte ces mal-aimés en mal d’amour. Une chose est sûre: ils mangent mal. Prenons le menu d’Hazel, mère et grand-mère de plusieurs personnages, dans «Un chien pis un bébé, c’est pas la même chose»:

Un sandwich aux œufs pour déjeuner, un restant de soupe réchauffé pour dîner, peut-être une boîte de croquettes au poulet pour souper, une tranche de gâteau aux fruits comme collation.

Pas très affriolant. Quant à Garry («Tout le monde mange pendant que moi je crève de faim»), il engloutit sa chaudrée de palourdes froide «à même la canne» tandis que son colocataire Damon en a assez du chow mein «à deux piasses» qu’il se paie tous les soirs après sa journée de travail. Incapable de trouver des vêtements à sa taille à Séoul, la malheureuse Ellen, elle, devient presque anorexique. Shawn («Des robes de filles d’honneur plein la penderie») trouve vulgaire de finir son assiette tandis que Sadie mange «chaque bouchée en pensant aux enfants affamés d’Afrique». À tous, la nourriture cause une multitude de problèmes.

Précise, efficace, sans complaisance ni fioritures, la langue est souvent explicite, voire très crue — «c’t’une plotte aspirateur, son affaire. En té cas, va jamais te mettre avec la pute du quartier dans le fond d’une ruelle…». La traductrice a choisi de garder certains mots en anglais: fucking et bitch, par exemple, sont récurrents. Bien que discutable, cette décision donne toutefois à l’ensemble une couleur authentique.

Les nouvelles sont bien sûr percutantes, souvent émouvantes, les personnages, très crédibles — on a l’impression de les connaître, de les entendre —, sont tous attachants, mais, malgré les quelques touches d’humour, plutôt noir, qui parsèment et allègent l’ensemble, il y a quelque chose d’un peu répétitif dans cette galerie de portraits désenchantés. Et si on était d’humeur chagrine quand on a entrepris cette lecture, on en sort un peu plus déprimé.♦

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Megan Gail Coles
Montréal, Marchand de feuilles
2017, 260 p., 23.95 $