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C'est la faute à Voltaire

C'est la faute à Voltaire

Dans un pénible fatras d’actions décousues et de raccourcis intellectuels, Alexandre Soublière projette son expérience dans l’« étude » de l’identité québécoise.

Essai

Dans un pénible fatras d’actions décousues et de raccourcis intellectuels, Alexandre Soublière projette son expérience dans l’« étude » de l’identité québécoise.

« Pensez-vous que les progressistes du Québec vont me détester à cause de ce livre ? » La question fait sourire, vu la pertinence du thème et la posture de l’auteur, qui observe son sujet depuis Vancouver, où il s’est « exilé » pour « écrire de la pub dans les deux langues officielles ». La critique intéressée par la représentation du Québec ne pourra ignorer La maison mère, demi-frère de Le Québec n’existe pas (Maxime Blanchard, Varia, 2017), écrit à New York. Malgré des positions différentes, les deux ouvrages prouvent qu’il est difficile de faire l’économie de la question identitaire dans un pays inachevé. La différence, c’est que le travail de Blanchard est réussi. Car si « les progressistes » se soucieront peu des idées soi-disant de droite de Soublière, qui ne réinvente vraiment pas la roue en la matière, son essai-fiction tombera maintes fois des mains du lecteur par son histoire hasardeuse et ses généralisations abusives. Il n’y a pas à dire, la « liberté grande » a le dos large.

Se cacher derrière la fiction

Qu’on soit d’accord ou non avec la proposition, cette tentative de « rebranding » du terme « Québécois » en faveur d’un retour au « Canadien français » pourrait gagner l’attention qu’elle mérite si la structure même du livre ne venait pas en court-circuiter la rhétorique. Où tracer la ligne entre l’argument et la fiction ? Comment, par exemple, le lecteur peut-il croire au dialogue de Soublière avec les essayistes Carl Bergeron et Gérard Bouchard dans un café quand tous trois se retrouvent soudain plongés dans un bain de sang à la Tarantino ? Ladite conversation a-t-elle seulement eu lieu ? Avons-nous eu droit aux véritables idées des experts convoqués ? À l’inverse, cette dystopie d’un Montréal apocalyptique en panne de courant s’alourdit quand les tribulations survivalistes des héros se figent en discussions identitaires. « [J]e me suis demandé pourquoi je m’étais toujours caché derrière la fiction afin de m’exprimer. » Excellente question.

L’autre grande faiblesse de La maison mère tient à la constance avec laquelle Soublière définit le Québec, qu’il s’agisse de musique, de littérature, de politique, de fierté militaire, de port d’armes,etc., d’après ses perceptions à l’emporte-pièce.

Mais qu’est-ce que Montréal à part le hockey ? Est-ce que quelqu’un peut répondre à cette question sans nous balancer les clichés habituels de la créativité, de la culture et des festivals ? Fuck you, les festivals. Quand je parle à des vrais anglos dans l’Ouest du pays qui n’ont pas de famille canadienne-française, ils se crissent bien de la créativité des murales dans nos ruelles. Non, mais, sérieusement.

Mauvaise foi ? Envolée lyrique ? La vérité se terre peut-être à mi-chemin, dans le besoin de Soublière de projeter ses propres errements dans ceux du Québec. « [N]ous sommes en situation de carence culturelle. Nous demandons à la langue de porter à elle seule tout le poids de notre culture anémique. » Anémique ? Est-il vraiment possible d’ignorer l’abondance, le rayonnement de la culture québécoise actuelle ?

« Tu cherchais qui, tu cherchais quoi, de Lowell Mass. jusqu’à L. A. […]»

Le véritable sujet du livre, ce n’est pas le Québecois Canadien français en général, mais Soublière en particulier. Beauceron par son père, Franco-Ontarien par sa mère, ni fédéraliste ni souverainiste, il se « considèr[e] comme américain » parce qu’il « n’[a] pas de pays ». « Le Québec n’est pas un pays, le Canada n’est pas le mien puisque la propagande péquiste m’en a dépossédé. » Aliéné, il s’explique la langue québécoise d’après la perception d’amis vancouvérois, et notre relation au bilinguisme d’après sa famille franco-ontarienne. N’arrivant pas à se positionner dans le milieu littéraire montréalais — le faut-il vraiment ? —, « ami avec tout le monde sans vraiment appartenir nulle part », il « se sen[t] bien un peu partout, mais jamais vraiment à [s]a place non plus ». Au fond, c’est un néo Ovide Plouffe : y’a pas d’place dans l’monde pour tous les Alexandre Soublière du monde entier.

Son seul ancrage est le territoire états-unien, et il se persuade de façon assez touchante que la critique actuelle vit mal avec le thème — oubliant les succès de presse et de vente des Alain Beaulieu, Daniel Grenier, Louis Hamelin, William S. Messier, Andrée A. Michaud,etc., qui ont exploré nos rapports à Oncle Sam bien avant lui :

Lorsque mon deuxième roman, Aminata virosa, est paru, et que Sylvain Sarrazin (il a fallu que je google l’article pour me souvenir de son nom) a écrit dans La Presse qu’il versait dans les « faux airs de superproduction hollywoodienne », j’ai bien vu que je ne serais pas compris. […] J’en tirais même une certaine fierté. Ça fait toujours chic et bien-pensant au Québec d’attaquer une œuvre en la jugeant trop « américaine ».

L’entièreté du livre est moulue de ce mépris — des artistes, politiciens, péquistes, progressistes, intellectuels, Québécois… — tous ces méchants bornés, incapables d’apprécier l’inconsistance de son travail. ♦

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Alexandre Soublière
Montréal, Boréal
Liberté grande
2018, 288 p., 26.95 $