Aller au contenu principal

Ces lueurs scintillantes

Connaissez-vous la zone 51 aux États-Unis? Certain·es affirment que des extraterrestres y seraient gardés captifs.

Littératures de l'imaginaire

Connaissez-vous la zone 51 aux États-Unis? Certain·es affirment que des extraterrestres y seraient gardés captifs.

Cette prémisse est au cœur de Zone 51, le plus récent ouvrage de l’écrivaine sherbrookoise Christiane Lahaie, qui a signé bon nombre de romans, d’essais et de recueils de nouvelles. L’illustration de couverture, avec son panneau orné d’un crâne de créature d’outre-espace, oriente notre lecture vers la science-fiction. Ce n’est toutefois pas le cas: à l’instar de plusieurs publications de Lahaie, nous retrouvons ici une intrigue fantastique, au sens todorovien du terme. En d’autres mots, l’hésitation (entre une interprétation surnaturelle et la folie) de l’une des protagonistes, Olivia, est aux premières loges. Les ovnis et leurs occupants sont davantage présentés comme des thèmes: ils obsèdent la jeune femme, qui parvient à entraîner trois de ses camarades dans ses pérégrinations. Tous les quatre (incluant la narratrice) sont des bacheliers nouvellement diplômés en anthropologie. Les autres membres du groupe sont Claude et Antoine, amis et amants sporadiques de la riche et débonnaire héroïne.

La narratrice à l’esprit et à la prose frivoles s’engage avec ses compagnons sur la mythique route 66, à l’instigation d’Olivia. Destination: zone 51. Mais l’étudiante aux longs cheveux noirs est singulière, renfrognée, d’une pudeur disproportionnée. Durant la totalité du voyage, elle note dans un cahier des observations d’ufologues qui confirmeraient l’existence des aliens. Intégrer entre les chapitres des extraits du carnet de l’illuminée Olivia était d’ailleurs une idée inspirée de l’autrice.

Sur la route des Petits-Gris

Zone 51 est dans son essence un roman de la route qui s’attarde sur les relations entre les personnages pendant l’itinéraire jusqu’à leur destination désertique. Le style de l’écrivaine est plaisant, léger au premier abord, quoique empreint de poésie par endroits: «Parfois, il suffit de fermer les yeux pour éteindre le ciel.» La narratrice ridiculise sans arrêt la quête ufologique d’Olivia, ce qui entraîne des pointes d’humour tantôt bien senties («quelques grossièretés dont je ne tiens pas à préciser le verbatim»), tantôt moins réussies («les raisins secs que j’avais à la place des seins»; «excité comme une fève sauteuse»). Quelques clichés parsèment également le texte: «haut comme trois pommes»; «dur comme fer»; «la vapeur me sortit par les oreilles». Le ton autodérisoire choisi a pour conséquence de cantonner le suspense à l’arrière-plan et de mettre en évidence le trajet routier ainsi que les traits d’esprit de la narratrice.

D’une certaine manière, l’intrigue s’achève au moment où elle aurait pu commencer, puisque la zone 51 est atteinte à la toute fin du roman. Conclusion quelque peu insatisfaisante, par ailleurs: l’histoire aurait davantage été percutante sans ses deux dernières, voire quatre ultimes pages. Un·e directeur·rice littéraire aurait-il ou elle pu suggérer de modifier la chute du récit? Ou d’ajouter des chapitres? Mais aucun·e directeur·rice n’est mentionné·e dans les crédits du livre. Peut-être parce que Lahaie dirige la collection «Réverbération» à Lévesque éditeur, dans laquelle paraît justement Zone 51? Peu importe l’expérience de l’écrivaine, l’apport d’un regard externe est à mon avis bénéfique et souhaitable. Cela dit, le comité de lecture a, je présume, formulé des recommandations à sa supérieure.

Du vert profond des chênes étoilés

Dans une perspective fantastique, Zone 51 laisse dans son sillage un sentiment d’inachevé, tempéré par le ton comique du livre. Lahaie a du métier: son écriture souple, vive et badine divertit, suscite la sympathie. Les quatre personnages sont incarnés, multidimensionnels. Je me suis amusée à lire les pages de ce roman qui s’enchaînent sans déplaisir, au gré des kilomètres de la route 66, que l’autrice a certainement déjà arpentée tant ses descriptions sont justes et loufoques. Nous sentons avec les protagonistes l’air humide et la fumée à l’intérieur de la jeep, les assauts du désert sur les cactus et la carrosserie. Plus au nord, nous apercevons, en compagnie de l’héroïne et de ses allié·es, une myriade d’étoiles à travers les branches des chênes. Puis nous avons droit – passage obligé? – à des soucoupes volantes, qui se déplacent, comme tous les ufologues le savent, dans un silence quasi total.

Zone 51 donne l’impulsion de scruter le ciel, télescope en main, à la recherche d’éventuels voyageurs cosmiques; de deviner les trajectoires des vaisseaux interplanétaires parmi les lueurs scintillantes des étoiles. Ou encore, de localiser les lignes telluriques – il y aurait, semble-t-il, un lien entre elles et la disposition des astres – sur le sol autour de nous. Car sommes-nous vraiment seuls? «Le ciel, surtout la nuit, charrie beaucoup de vérité.»

Auteur·e·s
Individu
Type d'entité
Personne
Fonction
Auteur
Article au format PDF
Christiane Lahaie
Montréal, Lévesque éditeur
coll. « Réverbération »
2020, 168 p., 19.95 $