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Beau et con à la fois

Depuis Phobies des moments seuls, Samuel Cantin n’a cessé de nous surprendre. Il nous offre, avec la seconde partie de Whitehorse, un récit construit avec une bonne dose d’absurdité.

Bande dessinée

Depuis Phobies des moments seuls, Samuel Cantin n’a cessé de nous surprendre. Il nous offre, avec la seconde partie de Whitehorse, un récit construit avec une bonne dose d’absurdité.

Le premier tome de Whitehorse nous présentait le personnage d’Henri Castagnette — auteur en devenir d’un roman sur Pépin le Bref — qui, en pleine crise existentielle, voit son amoureuse Laura quitter Montréal pour quelques semaines afin d’aller jouer dans un film. C’est une chance unique pour cette jeune comédienne d’être dirigée par Sylvain Pastrami, le talentueux et non moins particulier «jeune réalisateur à la mode». Henri accepte mal que sa Laura parte pour Whitehorse, lieu du tournage, avec cet énergumène. Le coup est d’autant plus dur pour Henri qu’il vient d’apprendre qu’il est atteint de la maladie de la tortue, mal incurable dont il mourra après avoir vu ses membres rétrécir. Tout a été mis en place pour une deuxième partie complètement folle, que nous offre Samuel Cantin dans une brique de trois cent trente-six planches où on ne s’ennuie pas un instant.

La parole est d’or

Les personnages parlent, parlent et parlent encore. Le langage qu’ils utilisent oscille entre le français «correct», les québécismes et les anglicismes. L’auteur n’est pas tant à la recherche de la vraisemblance dans ses dialogues que des effets humoristiques que produisent ces changements de ton. Cette façon d’écrire fonctionne encore mieux dans le deuxième tome, nous connaissons davantage les personnages et Cantin peut amener son lecteur dans de laborieuses élucubrations. Les discussions entre Henri et son ami Diego tiennent parfois du dialogue philosophique avant de se transformer, souvent dans la même phrase, en blague de mauvais goût. La rencontre entre Henri et le petit Sébastien, espèce de génie fou âgé de douze ans et cousin de Diego, s’étale sur une douzaine de planches. À Henri qui voulait avoir une prédiction quant à son avenir, Sébastien répond par une tirade sur le plaisir, les conquêtes féminines et le danger de tomber amoureux.

Pendant ce temps, à Whitehorse, le tournage du film de Pastrami ne se déroule pas sans heurts. Le réalisateur, toujours dans son régime alimentaire «boire son urine», tente tant bien que mal de parvenir à ses fins avec Laura, de qui il est follement épris. Ses efforts de séduction restent vains, la comédienne s’efforçant plutôt de trouver le sens des scènes qu’elle doit interpréter. Elle n’est pas convaincue de comprendre pourquoi elle doit s’enduire le corps de sang, sortir d’un bois en imitant un caribou et embrasser goulûment l’aide-réalisatrice. Les planches illustrant le tournage de ce film «d’avant-garde/nouveau cinéma/brisant les conventions» sont hilarantes, je me suis surpris à rire à voix haute devant l’imbécillité profonde du réalisateur. On sent que Samuel Cantin prend plaisir à dessiner ses personnages de «méchants»; celui de Pastrami, orné d’un chignon à la mode sur la tête, est toujours montré dans des postures qui le rendent beaucoup trop intense pour être crédible, les mains toujours en mouvement, le visage passant par toute la gamme des émotions possibles.

Et vint l’apothéose

Henri, qui sent sa fin arriver, convainc Diego de louer un avion pour aller rejoindre Laura à Whitehorse. Nos deux lascars s’embarquent donc pour un périple qui les mènera dans un Yukon qui ressemble davantage à un village tiré d’un album de Lucky Luke qu’à la réalité. Les retrouvailles entre Laura et Henri, même dans leur absurdité, sont émouvantes. En effet, l’amour inconditionnel que ressent le héros pour la jeune comédienne l’amène à se dépasser, à s’oublier même, ce qui, pour ce névrosé, relève presque du miracle. Ici encore, les personnages parlent beaucoup, plusieurs planches relatent la reconquête de Laura. Celle-ci ne se jette pas inconsciemment dans les bras de son ancienne flamme. Seul personnage féminin de l’album, elle est la plus sensée de tous, en restant aussi drôle que les hommes qui l’entourent.

Un événement majeur vient changer la fin du récit qui, dans sa dernière partie, mêle une armée de pélicans, un volcan en éruption et une poursuite en deltaplane. Étonnamment, tous ces moments (et d’autres que je ne peux révéler) surprennent, soit, mais s’inscrivent dans cette logique complètement folle, loufoque et hilarante que Samuel Cantin a construite. Voilà un bédéiste en pleine possession de ses moyens, avec un univers unique et un immense talent qui ne cesse de se développer. ♦

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Samuel Cantin
Montréal, Pow Pow
2017, 336 p., 31.95 $