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Au village

Poésie

Au village on laisse le clou rentrer dans le pied profond jusqu’à cueillir le tétanos comme une surprise. On se regarde vivre, on se vire à tous les chars qui passent : c’est la danse farouche de l’hiver quand il nous emballe dans son remède de lenteur.

Je sais pas ce qu’il va falloir pour exister assez fort, avec le wi-fi d’une tanière à dormir la moitié du temps qu’il faut pour savoir regarder le corps flambant nu de la terre.
 

Au village, les jours où ça va moyen, j’arsouds chez le monde, le monde chez qui tu rentres de même sans cogner là. Pis avec mes morceaux de tempête accrochés partout au-dedans comme au-dehors, je te lâche le call que tout le monde lâche dans les mêmes circonstances, j’leur chante :

 « Y a-tu d’la bière icitte, y a-tu d’la bière icitte, si y a pas d’bière icitte moé j’sacre mon camp d’icitte »

À partir de d’là
je pense pu
à rien pantoute.

Au village, y a toujours moyen de se faire sacrer patience quelque part. On suit la piste des bêtes jusqu’à la tour de cellulaire, on partage du silence pis le soir la pleine lune nous fait faire des rêves d’apocalypse.

Au village, j’ai entendu dire que c’est à cause qu’on donne trop de sucre aux enfants
qu’ils peuvent prédire les tempêtes.

Au village la tv nous fait oublier la révolte
on sait pu rien lire sauf les accidents
sur les journaux du dépanneur
les plus belles robes du tapis rouge
l’état de santé de Dominique Michel
la nouvelle demeure de Mario Pelchat
les six quarante-neufs qu’on liche.

Au village, j’ai rencontré une fille du rang
elle me dit qu’elle peut pas avoir de bébé
et pis qu’hier a s’est étouffée ben dur avec un steak.
Une chance à matin je me suis levée lente
et miraculeuse pour affronter la rangée de légumes mous du Bonichoix.

Au village on barre pas.

En tout cas, si tu fermes la porte je souhaite
qu’elle soit pas au niveau,
qu’il reste un jour — un rai de lumière — juste un petit jour
qui me laisse entrer en sifflant le vent du nord
pour qu’à chaque fois j’arrive un peu avec la neige folle
en dessous de ta catalogne.

Au village y a des jours où je voudrais écrire
des mots d’amour en police Wingdings 72
pour que tout le monde les voie
et personne comprenne
comment je suis conne.

Y a des jours où je voudrais écrire ton prénom
avec le mouillé de la zamboni
à l’aréna coulé de mon cœur coulé
là où les dauphins continuent de sauter.

Au village, le trente et un au soir on se met sur notre trente-six. On s’en va manger une fondue avec le plus beau monde. Il a tombé une grosse poudre faudrait pas rester en rack chu en robe même pas de soute. Tu contournes les arbres dans la nuit, tu vires sur un dix cents, des branches dans face la neige dans les yeux : c’est pas avec toi que je vais rester pris.

Je me suis dit que ça ferait un beau titre de quelque chose : Il danse avec les ski-doos.

Au village, je crois juste les grafignes que j’ai faites sur ton dos.
On a la langue achalandée, emportés par une vague de fort
et nos sexes clignotent dans la nuit tremblante.

Partout sur nos peaux de bêtes : une lumière noyée.

Je te l’amène ta peau, chez nous.
Le fjord peut aller se coucher.
Nous autres on dormira pas.

Au village je mets ma belle robe pour aller fendre du bois,
chanter des tounes aux chevreuils
cueillir l’écorce de mon reste de cœur
que la plus grosse partie s’est effilochée dans la rivière.

J’me suis vêlée dans mes accroires
pour faire changement
ici le hasard s’éparpille
comme les outardes savent pas se perdre.

J’aimerais aller me promener en char,
prendre une poffe de ton cou
quelque part sur la rue principale,
me sentir assez vivante pour un autre hiver.

Au village sont étalés les animaux blessés de mon silence,
moé, petite fille lâchée lousse
petite fille de merci-bonsoir pis chow-bye
à licher mes bobos
dans la fatigue de plaire.

Au village on se promène en char, on lance des roches sur les crisses de lampadaires qui nous empêchent de voir la nuit.

Pas chercher la marde, faire comme tout le monde pis rester tranquille parce que toute se sait.

Toute.

Ou ben oui chercher le trouble
pis au moins on sait le goût que ça peut avoir
de vivre une histoire

de village.

 

(Extraits de la collection « Immersion Occupée », des éditions OQP,  à paraître cet automne.)

Marie-Andrée Gill est née à Mashteuiatsh et demeure maintenant à L’Anse-St-Jean. C’est une fille de village.

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