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Appel à l'imaginaire

Qu’avez-vous acheté le 12 août dernier? Pour ma part, beaucoup de fantastique, de fantasy et de science-fiction d’ici. Mais j’éprouve parfois quelques difficultés à dénicher des ouvrages mémorables.

Littératures de l'imaginaire

Qu’avez-vous acheté le 12 août dernier? Pour ma part, beaucoup de fantastique, de fantasy et de science-fiction d’ici. Mais j’éprouve parfois quelques difficultés à dénicher des ouvrages mémorables.

Il existe peu d’éditeurs spécialisés en imaginaire au Québec. Alire et Les Six Brumes, les deux plus notoires, font paraître ensemble une douzaine de titres chaque année. C’est pourquoi les initiatives d’éditeurs généralistes de fonder des collections consacrées à la science-fiction et au fantastique sont si réjouissantes. Outre le nombre élevé d’écrivains de talent au Québec, le lectorat de ces littératures est en plein essor. Pourtant, par rapport au polar par exemple, l’imaginaire est en retard et, qui plus est, compte peu de lieux de diffusion dans la province.

J’avais de hautes espérances lorsque j’ai appris la création de la collection «Satellite» aux éditions Triptyque, dirigée par Mathieu Villeneuve, auteur de l’atmosphérique Borealium Tremens (La Peuplade, 2017). Le joli nom, «Satellite», témoignait de surcroît, ce qui est moins fréquent, d’une volonté d’inscrire dans la ligne éditoriale des œuvres appartenant à la science-fiction. Le descriptif de la collection est à l’avenant, évoquant celui d’«Héliotrope noir», l’un des plus inspirants projets au Québec dans le domaine des littératures d’enquête à l’heure actuelle. Tandis que la collection d’Héliotrope se propose de «tracer, livre après livre, une carte inédite du territoire québécois, dans laquelle le crime se fait arpenteur-géomètre», «Satellite» souhaite «dynamite[r] les atlas et érige[r] des idoles sur leurs ruines. À la fois laboratoire de poétique et lieu de passage pour l’imaginaire, «Satellite» accueille des histoires transfuges, des livres étranges et des œuvres de science-fiction.» Emballant, n’est-ce pas?

La lecture du premier titre de la collection, Gloomy Sunday, d’Alain Bergeron, récit honnête quoique moyennement inventif, un peu ennuyeux, a tiédi mon enthousiasme. Malgré cela, le recueil de nouvelles du défunt auteur était réfléchi quant à la manière de raconter, bref: on sentait le métier. Avec la deuxième parution de la collection, L’enlèvement, nous sommes, il est triste de l’écrire, dans l’amateurisme. Toutefois, Damien Blass fut encadré d’un directeur littéraire, d’un réviseur et même, spécimen rare en 2019, d’une relectrice d’épreuves!

Autopsie d’un extra-terrestre et d’une déception

L’enlèvement se fonde sur une idée originale, l’arrivée d’extra-terrestres au sein d’une secte chrétienne born again. Mais le récit s’articule autour de clichés et de déjà-lu. Des visiteurs d’outre-espace, les bien connus «gris» (ou petits-gris, vous savez, ceux qui ont de grosses têtes imberbes aux yeux globuleux), kidnappent quelques infortunés afin de se prêter à des expériences — la fameuse sonde incluse. Ils s’annoncent par la constellation du losange, «quatre points qui, une fois reliés, dessinaient une croix renversée». Car ils sont en mission, déterminés à soumettre les humains à leurs diktats, notamment André, adolescent autour de qui l’intrigue est centrée. André, après son séjour dans le vaisseau des gris, raconte avoir été ravi par des anges. Dès lors, les fidèles de sa congrégation chrétienne le considèrent comme un élu. En somme, rien d’étonnant à l’horizon stellaire.

Ceux qui habitent le ciel

De grandes qualités stylistiques peuvent compenser l’originalité ténue d’une œuvre. Mais sur le plan de l’écriture et de l’évocation, L’enlèvement n’est guère convaincant. Dois-je rappeler à quel point la maîtrise de la grammaire est une compétence obligatoire pour un auteur, à l’instar de la justesse chez un chanteur? Sans une connaissance suffisante de la langue (par exemple, être apte à reconnaître les verbes transitifs et intransitifs), l’aspirant écrivain peinera forcément à transmettre ses idées, et son texte demeurera laborieux, peu incarné. Les lacunes sont variées: déterminants mal utilisés et embrouillés («Robert ronflait à ses côtés, sa respiration bruyante soulevait sa masse à un rythme lent. Elle voulut crier son nom, mais sa langue avait une texture pâteuse»), anglicismes («proposa de l’installer sur le Nintendo»), impropriétés («les proportions graciles et fermes de son corps» ou encore «silence ténu» — le silence ne peut être ténu, il est l’absence de bruit), erreurs de syntaxe, ici une anacoluthe («Une fois franchi le chambranle, le plancher s’arrêtait net»),etc.

L’enlèvement fait songer à ces romans confus que l’on rédige pendant l’adolescence. Ces projets sont essentiels au développement d’un auteur, mais ils devraient appartenir à l’obscurité des tiroirs.

Ma déception est surtout tournée vers Triptyque et sa collection «Satellite». Peut-être ce manuscrit et le précédent ont-ils été imposés au directeur de collection. Le niveau qualitatif des troisième et quatrième ouvrages de «Satellite» sera déterminant quant à la pérennité de l’initiative et à son inscription dans le paysage littéraire québécois. Je le mentionnais préalablement, il y a abondance d’auteurs de talent en imaginaire, et les lieux de publication sont insuffisants. À quand une nouvelle maison d’édition spécialisée ou une collection de haut calibre? ♦

Auteur·e·s
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Damien Blass
Montréal, Triptyque
Satellite
2019, 138 p., 20.95 $